Toujours perdant !

Révélations

Le pré des Braillards.

Le silence ; un monstrueux silence, bourdonnant comme les oreilles d'un malade enfiévré.

Alain reprit sa marche. Où était son père ? Pourquoi avait-il un tel retard ? Il s'arrêta soudain, le visage tourné vers le soleil couchant. Là, éloigné d'un kilomètre, s'étendait le champ... le petit coin de terre, si tranquille, où paissait Vénus.

Un haussement d'épaules ; il tira la fameuse lettre, et la relut pour la dixième fois. Il la connaissait si bien qu'il éprouvait à peine le besoin de lire, tant les mots résonnaient encore dans son esprit.

Le va-et-vient reprit. Un hennissement lointain le fit tressaillir. De nouveau, il porta son regard vers l'ouest. Une brève hésitation ; il prit sa course vers l'astre qui se mourait. Qu'importait Dumas ! Il attendrait. Sans peine, il reconnut le petit chemin creusé par l'eau, si typique du bocage vendéen. Une barrière blanche se présenta : elle marquait le début des terres de Roger ; il la franchit d'un bond.

Tout en courant, le rythme habituel de la ferme lui revenait en mémoire. À cette heure tardive, le personnel devait être réuni autour d'une soupe épaisse, plaisantant lourdement sur quelques pauvres individus. Les risques de rencontrer un homme de Roger étaient presque nuls.

La jument a relevé son museau frémissant. Ses yeux noirs semblent exprimer un puissant reproche. D'une main palpitante, Alain caresse le cheval qui a accompagné ses premières voltiges.
« Je t'avais dit que je reviendrais. »

Il cueillit une pomme sauvage, et la lui offrit. Retrouvant les vieilles habitudes, il lui glissa à l'oreille, comme une confidence :
« Ce n'est pas encore le moment. Quand tes vilains propriétaires seront en prison, tu seras heureuse pour toujours. »

Soudain, la jument releva la tête, échappant à son étreinte. Surpris, Alain s'écarta légèrement d'elle, et jeta un regard inquiet aux alentours. Il remarqua alors, de plus en plus tendu, que les oiseaux chantaient moins fort. Ses yeux clairs sondèrent les fourrés... mais les feuilles bourrées de sève lui cachaient... quoi donc ? Une voix retentit, sèche et triomphante :
« Je savais que tu reviendrais voir ta rosse, avant d'aller rejoindre ton père ! »

Alain retint le cri qui venait à ses lèvres : « Roger ! » Piqué par la présence de son ennemi, il bondit sur Vénus, et la fouetta d'un violent coup de talon. L'animal, ainsi éperonné, s'élança au galop. Un coup de feu éclata, mais la balle siffla bien au-dessus de lui. D'un saut, il passa une barrière, et s'engouffra dans la pénombre d'un petit sentier.

Les sabots propulsaient des éclats de cailloux et de terre sèche. Subitement, une de ces projections atteignit son œil gauche, fermant ses paupières. À la même seconde, le cheval franchit un obstacle imprévu. Alain, déstabilisé par son aveuglement, tomba au sol. D'un geste vif, il se releva, déchira le brouillard qui flottait devant ses yeux.

Il reconnut, entre les arbres, à une cinquantaine de mètres, un vieux bâtiment aux pierres branlantes, surnommé Les ruines du vieux Job. Avec toute l'énergie de son corps athlétique, il se rua vers cette place forte, et se jeta derrière les murs carbonisés, le cœur battant.

Il sentait l'étau se refermer sur lui. Roger était trop fort ; il allait le reprendre ! Non, jamais ! Un mouvement fit bouger la verdure. Il décida d'abuser ses adversaires.
« N'approchez pas ! Ou je vous fourre du plomb dans le crâne !
- Tu essayes de nous tromper ! » répliqua Roger.

Un frisson incontrôlé agita Alain. Il ne pouvait entendre cette voix sans frémir.
« Amenez-vous, hurla-t-il, et nous verrons si je mens ! »

Un long silence tomba. Essayaient-ils de le prendre à revers ? Il cria encore, pour gagner du temps :
« Qui vous a dit que j'étais ici ? »

Soudain, un horrible doute s'immisça dans son esprit : et si l'homme qui l'avait attiré dans ce traquenard était Bernard Dumas ? Instinctivement, il repoussa cette idée, mais elle s'imposa de nouveau à lui : qui avait envoyé la lettre ? Qui avait prévu que son amitié allait le pousser à revoir Vénus ? Qui ? Sinon Bernard Dumas, en accord avec Roger...