Un nom sur la liste

Depuis le début
                                    

Le jeune homme sourit.
« Eh bien ! Nous n'avons parlé que d'affaires, mais il y a certainement d'autres nouvelles !
- Ils t'ont laissé une fameuse cicatrice, remarqua l'abbé. Qui est donc ce Roger ?
- Je ne le sais pas moi-même. »

Quelqu'un toqua.
« Monsieur le Curé, il manque une bannière ; celle de Saint Joseph.
- Elle doit-être dans mon grenier ; je vais y aller voir. »

Le prêtre se tourna vers Alain.
« Comment vas-tu retrouver ce Dumas ?
- Je n'en ai aucune idée.
- Il peut être à Lille comme à Toulouse ; à Paris comme à Berlin ; en France comme au Canada, ou aux Indes... tu n'as aucune chance !
- Je la tenterai quand même, cette chance », répliqua Alain.

De nouveau, l'abbé soupira. Il haussa les épaules :
« Je dois y aller. »

La procession se déroula dans un envol de fleurs et de chants, mais l'esprit d'Alain était sombre, et il se sentait absent. Deux noms tourbillonnaient dans son esprit : Bernard Dumas, Suzanne Mézec. Encore Dumas ; puis Suzie, toujours Suzie.Oui, encore elle ; toujours, elle ! C'est décidé, il passera la voir. Qu'importe l'heure à laquelle il arrivera ! Déjà, il discerne le visage aimé, les cheveux châtains. Elle estompe même le nom de Dumas. Roger peut se dresser, avec tout son gang, il la verra.
« Tu vas te faire prendre ! » murmure une petite voix, si fine, si lointaine.

Il s'en moque. Il s'en moquait. Car voilà la propriété des Mézec. Il fait nuit. Quelques heures se sont écoulées, depuis la fin de la procession, mais son esprit est resté constamment lié à Suzie, et il lui semble qu'une minute, à peine, s'est écoulée.

La Lune brille comme les yeux d'une mariée, ce soir, et l'habitation se dresse clairement. Alain a repéré la chambre de Suzanne. Il prend quelques cailloux, et les jette contre les volets. Une minute s'écoule ; une silhouette s'échappe de la bâtisse, s'avance. Il l'a reconnu, et son cœur bat.
« Suzie ! »

Il lui baise la main, malgré cette furieuse envie de l'étreindre plus fortement. La jeune fille sourit. Dans la douceur de cette nuit d'été, il la trouve belle ; plus belle qu'il ne l'a jamais pensé.
« Comment vas-tu ? » demande-t-il.

Des mots si simples, si doux ! La femme a retiré sa main, et soudain, son visage a pâli. Ce doit être la Lune, et ses vilains rayons blancs !
« Je me porte bien », répond-elle.

Alain veut l'entraîner auprès du petit étang. Assis sur cette grosse pierre, ils seront si bien ! Mais elle refuse, et déclare :
« J'ai quelque chose à te dire. »

Le jeune homme sourit. Ce soir, il se sent généreux, et plein de bonne volonté.
« Dis-moi. Dis tout ce que tu veux ! »

Elle brandit sa main droite. Et, soudain, Alain remarque la bague qui brille, qui scintille sous les étoiles... cette bague qu'il a toujours rêvé d'offrir.
« Je suis fiancée, Alain. »

Cela a été dit si facilement... le garçon fixe le bijou, dont l'éclat blesse ses yeux. Livide, il relève un visage bouleversé, sans comprendre.
« Mais Suzie...
- Tu t'es imaginé des choses impossibles, mon pauvre Alain... Et puis, mon père ne veut pas de toi !
- Mais toi, Suzie... tu m'aimes ! »

Le silence tomba ; les grillons, inconscients, saturaient l'air de leurs grincements. Au bout d'un long moment, d'un très long moment, Alain parvint à saisir ce que signifiaient ces mots. Il s'emporta faiblement, trop ému pour être vraiment fâché.
« Suzie... pas toi ! Tu m'as redonné courage... tu m'as permis de devenir un homme, et de me tirer d'affaire ! C'est toi qui m'as donné l'ambition de réussir ! Et toi... qui m'as conseillé et soutenu... toi... »

La jeune fille termina, sèchement :
« C'était de la pitié, Alain ! Oublie-moi, cela vaudra mieux. Tu as toujours été perdant, et je suis las d'attendre ! »

Toujours perdant !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant