Chapitre 7

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Dylan 


Et si tout n'était pas perdu... ?

Elle était belle. Si belle que j'en avais mal. Avec ses cheveux blonds immobiles, ses paupières closes sur ses yeux vairons que j'aimais tant, ses lèvres tendres et son visage que je connaissais par cœur...

Je n'avais pas pu résister.

J'avais ouvert la porte à la plus grande des folies.

Seul avec son cercueil, que j'avais ramené chez moi, j'avais succombé à la tentation. Je voulais juste la voir une dernière fois, apaiser ce torrent de souffrance. Elle me manquait tant... Le coup d'œil jeté à l'intérieur s'était transformé en contemplation, les minutes en heure. Depuis, je ne parvenais pas à me détacher de son image.

J'attendais.

Que ses yeux s'ouvrent et me troublent de leur éclat. Que ses lèvres s'étirent en un sourire qui m'aurait retourné le cœur. Que ses joues rosissent pour que je puisse me délecter de sa gêne. Qu'elle se redresse et se jette sur moi pour me serrer contre elle.

Mais j'avais beau attendre, depuis des heures, la bougie éternelle dans la main, mon Hazel ne bougeait pas d'un cil. Parfois, une mèche de ses cheveux frémissait, troublée par une brise ; rien de plus.

Assis près d'elle, je me retenais de la toucher. Parce que je savais que le choc serait rude en sentait sa peau dure et glacée. Je ne voulais pas rompre le charme. Mais, alors que la nuit tombait, projetant des lueurs inquiétantes sur les murs de chez moi, la vérité me frappa de plein fouet.

La femme de ma vie était morte.

Et moi, j'étais cassé. Au-delà du réparable. Et pas seulement parce que je passais ma soirée avec son cadavre, ce qui aurait suffi à me faire interner. Surtout parce que je ne parvenais pas à accepter, à me relever, à avancer.

J'avais perdu bien des proches. Ma mère, ma sœur, diverses petites amies, des camarades de meute... Ça avait été dur mais jamais je ne m'étais laissé abattre. Cette fois-ci, je ne m'en sortirais pas. La douleur était trop grande, mon cœur trop à vif, le monde trop vide de sens, de tout, d'elle.

- On est dans la même merde, tous les deux, soupirai-je en couvant Neville du regard.

Il sembla me lancer un regard furibond. Depuis que j'avais ouvert le cercueil, il ne cessait de me mordre les doigts. Il désapprouvait clairement mon attitude et j'étais estomaqué par l'intelligence de ce rongeur que j'avais d'abord pris pour un crétin. Toutefois, ses sautes d'humeur ne m'atteignaient pas ; c'était comme pisser dans un violon.

Je poussai un soupir puis déposai Neville dans sa gamelle et la bougie près d'Hazel. Sans Chloé pour me nourrir à heures régulières, j'oubliais de manger, de boire voire même parfois de respirer. J'ignorais même depuis combien de temps j'étais rentré. Je déboulai dans ma cuisine plongée dans l'obscurité, sortis une casserole et un sachet de pâtes. J'attendis que l'eau bout, le regard dans le vide. Le glouglou de l'eau troublait le silence pesant qui s'était installé. Au loin j'entendais quelques mulots courir dans les bois, une brise de vent agiter les branches des arbres, rien de plus.

Je me sentais particulièrement seul. C'était à la fois un soulagement et une vive terreur.

Que faire, maintenant ?

Déjà, arrêter le feu avant que ma déprime ne foute le feu à toute la baraque.

Las, j'égouttai les pâtes et fourrai le tout dans une assiette. Je n'avais pas tellement faim mais si je voulais vivre, ne serait-ce que pour souffrir davantage, je devais manger un minimum. Alors que je traversai de nouveau le salon, je croisai mon reflet dans le miroir et manquai de me faire sursauter. Avec ma barbe hirsute, mes yeux injectés de sang et mes traits émaciés, je faisais peur à voir. Je haussai les épaules. Peu importe.

Je m'apprêtais à rejoindre mon canapé pour m'affaler à l'intérieur lorsque l'impensable se produisit.

Un courant d'air venu de nulle part me traversa. Rien de bizarre si une sensation de bien-être associé au parfum d'Hazel n'avait pas suivi cet événement inattendu. Au lieu d'avoir froid, une chaleur intense se répandit en moi, réveillant mon corps, faisant accélérer mon cœur, me sortant de ma torpeur. J'humai l'air, inspirant ce parfum que j'aurais reconnu entre mille. Lessive, shampoing pomme-cassis, une touche plus sucrée... Ça ne venait pas du cercueil ; je l'aurais senti bien avant sinon. Ce qui ne pouvait signifier qu'une chose...

- Hazel ? Tu es là ?

Un silence éloquent me répondit. Soit je devenais timbré (c'était sûr à quatre-vingt-dix-neuf pour cent) soit elle ne pouvait pas communiquer avec moi. Figé au milieu du salon, mes pensées tournaient à toute allure. Je me sentais plus tendu que jamais, prêt à bondir et pire encore, l'espoir renaissait en moi. Et c'était terrible. Plus j'espérerais, plus la chute serait rude, voire fatale.

Mais s'il y avait une chance, une infime chance pour qu'Hazel soit encore présente, ici, avec moi, de quelque manière que ce fut...

Instinctivement, je me tournai vers Neville. Mon pressentiment se justifia lorsque je découvris le hamster, bien droit sur ses pattes, les yeux rivés vers la baie vitrée. Voyait-il quelque chose que je ne voyais pas ? Était-ce Hazel ?

Le souffle coupé, le cœur battant à tout rompre, je me dirigerai vers la baie vitrée. Je tentai par la même occasion de refouler la douleur qui me broyait. Mon chez-moi était peuplé de souvenirs. Hazel se transformant en sirène dans ma salle de bain, Hazel petit-déjeunant dehors lorsqu'elle était venue ici pour la toute première fois, Hazel et moi dormant à la belle étoile, sur un matelas que j'avais installé dans le jardin... Revenir ici était une torture mais c'était encore là où je me sentais le plus proche d'elle. Surtout maintenant que j'avais son corps auprès de moi.

Mon monde s'effondra de nouveau quand je découvris que la baie vitrée était entrouverte. Avais-je oublié de la fermer ? En tout cas, ce courant d'air que j'avais ressenti... Non, je refusais d'y croire : c'était bien Hazel. Je n'avais pas pu me l'imaginer, je n'étais pas encore tout à fait fou. Je passai dehors et examinai l'horizon, attentivement. Rien ne sortait de l'ordinaire. La nuit avait pris ses droits sur les bois, les chouettes hululaient dans les arbres, le vent soufflait toujours un peu... Glacé.

Je me détournai et rentrai à l'intérieur, refermant la porte avec tant de brutalité que la vitre trembla. Alors que je m'apprêtais à retrouver le corps d'Hazel et enfin manger les pâtes que je trimballais depuis dix bonnes minutes, un truc sur le sol attira mon regard.

Mon cœur s'arrêta subitement. Mon assiette s'écrasa sur le sol dans un fracas retentissant, qui résonna longuement en moi. Comme au ralenti, je me baissai et me saisis de la fleur qui avait été déposée sur mon parquet, intacte, comme par magie.

Petite, frêle, délicate. Des pétales arrondis, à peine rosés...

Une impatience.

Si ce n'était pas un message d'Hazel, je ne m'appelais plus Dylan Connor.

PatienceSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant