Chapitre 20

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I figured it out from black and white


Harry

Le samedi suivant, Mitch m'a assuré que l'on aurait le temps d'aller en studio plus tard, Jeff s'est excusé du raté sur mon agenda, et j'ai tracé aux bureaux du management après une nuit blanche passée à écrire deux chansons d'âme égarée.

Cette semaine, j'ai grapillé quelques malheureuses heures de sommeil sur le canapé de mon studio en sous-sol, une des rares pièces épargnées par la trace de Louis. Je me répète que c'est une sage décision, la seule qui nous permettrait de nous préserver. J'ai vu craquer dans ses yeux les fêlures de son premier cœur brisé, et le mien, au fond de ma poitrine, qui me traitait de fou car il ne s'en remettrait jamais une seconde fois. Je ne peux pas le forcer à me donner ce qu'il n'a pas, et je ne peux pas le forcer à recevoir ce que j'ai à donner. Les gens théorisent les différents langages de l'amour. J'ai longtemps cru qu'on était capables de parler le même. A quoi bon traduire au point de devenir quelqu'un que je ne suis pas. Quelqu'un qu'il n'est pas. A quoi bon s'appartenir si l'on n'est plus nous.

— Okay, les mains en l'air ceux qui ont moins de cinq heures de sommeil dans les pattes, plaisante Cameron en nous scrutant un à un.

Liam me décroche un coup de coude, alors je lève un doigt pour suivre la connerie sans conviction. Face à moi, Louis arbore des cernes aussi foncés que les miens. Niall attire son attention sur sa nouvelle boucle d'oreille en forme de logo Guinness. Il est absent. Pour l'instant, « savoir se comporter » se limite à notre silence et à croiser brièvement le regard de l'autre avec un malaise douloureux.

— C'est la folie sur les réseaux, continue le manager. Le single a décollé en numéro un des ventes sur toutes les plateformes. Ils ont déjà trouvé des centaines de places pour l'avant-première à New-York, bref, on est au top. Harry, la promo n'est pas obligatoire mais sache que tu es le seul à ne pas avoir publié de post hier.

— Je... je corrigerai ça en rentrant, pas de soucis, je le rassure, l'information terminant de me réveiller.

— Parfait. Prêts ?

Pas vraiment.

— Et comment ! s'emballe Liam.

Cameron tourne son siège vers l'écran blanc et nous l'imitons dès qu'il tape sur la touche play de son clavier.

Un retour en arrière en accéléré. Des rires, les voix des uns qui crient le prénom des autres, des harmonies, des portes claquées, des clins d'œil, des conversations houleuses. Au milieu des scènes compliquées où la pression des dernières années du groupe se lit sur nos visages ; les retrouvailles. Les hésitations, la réalisation timide que l'on avait le droit de récupérer notre histoire là où l'avait quittée, puis notre nouvelle relation, décomplexée, assagie, forte.

Les images vives s'enchaînent. Celles de Louis et moi miraculeusement sauvées au montage détonnent sur un extrait récitant que l'on a retrouvé le chemin de notre amitié. J'ai la sensation de voir défiler une vie qui n'est plus la mienne, qui l'a été dans une dimension parallèle. Qui de l'insomnie, l'alcool de la veille ou le manque me flanque la nausée ? Ça ne s'invente pas des regards pareils, si ? Être témoin de cette réalité que l'on a caressé et qui, malgré avoir remué ciel et terre, ne peut être la nôtre me rend malade. Je suis aimanté à lui, incapable de me détourner de ses réactions. Comment supporte-t-il de regarder ça ? J'ai conscience d'être injuste. Il l'a été aussi. Et de penser que nos efforts pour ne pas replonger ont été insuffisants me fout en vrac. S'il y a bien une chose que je gère mal, c'est cette colère triste qui joue avec mes nerfs.

When the Curtain Calls (LS) ✓Où les histoires vivent. Découvrez maintenant