Chapitre 1 : Au commencement

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L'an 3172. En orbite autour d'un des satellites de la Nouvelle Terre.

L'obscurité. Le calme. Le calme à part le ronron incessant des moteurs et des climatiseurs de l'énorme croiseur de la police de l'espace, l'Argon, toujours présent aussi bien le jour que la nuit. Il y avait aussi la carlingue, tout autour. Elle craquait sous la pression de l'air, ce qui pouvait être inquiétant mais c'était tout à fait normal. Impossible de respirer sans un ajout d'oxygène enrichi qui provoquait des migraines atroces au début quand on embarquait pour un long voyage pour la première fois. Les cadets de la police spatiale en savaient quelque chose. Dans la cabine près du pont principal, pas un mouvement. Une silhouette se détachait sur la couchette, on ne distinguait pas grand chose à part quelques rais de lumière passant par les petits trous de l'obturateur de luminosité du hublot. Sur le bureau, traversé par un halo, des tubes de médicaments, un verre à moitié plein d'eau frémissante dû aux vibrations de l'engin spatial. Des traces de poudre étaient encore visibles sur la table, preuve de prises fréquentes. On voyait aussi la poussière en suspension dans l'air faire comme des milliers atomes en mouvement. Soudain un bruissement, léger presque imperceptible, le corps se tournait, cherchait une meilleure position, ne la trouvait pas. L'air était pesant dans cet espace exigu pourtant plus grand que la moyenne des autres cabines. Sur le dossier d'une chaise, luisait le bout du canon d'une arme laser, rangée dans son holster, ainsi qu'une veste en cuir noire. Intégré sur la poitrine, l'insigne circulaire réglementaire des forces de police de l'espace. Le corps bougeait encore, visiblement le sommeil ne venait pas malgré la prise de cachets, la migraine était trop forte. Elle prenait le dessus, c'était plus fort que tout. La personne allongée depuis un moment sur sa couchette espérant calmer la douleur, finit par se lever et commença à tourner en rond dans la pièce toujours plongée dans le noir. La nausée s'était invitée à la fête et le roulis du vaisseau n'arrangeait rien. La lumière s'était enclenchée quelques secondes plus tard, automatiquement, ayant détectée un mouvement net et franc. Mélissa Campion, surprise, la tête prise dans un étau, se précipita sur sa paire de lunettes opaques se trouvant sur la table de chevet à proximité du lit. Lunettes très noires servant lors des sorties sur la Nouvelle Terre et ses satellites car la luminosité était forte du fait que les soleils de ce système solaire étaient plus proche des planètes. Le bruit était infernal, insupportable, de rage elle saisit un objet proche d'elle et le projeta sur la porte de la cabine qui s'ouvrit au même moment. Un cadet, en uniforme kaki, chargé de la communication, une tablette numérique à la main, eut le réflexe de refermer la porte juste à temps. La lumière au dessus de la porte était pourtant bien verte, signe que le capitaine était disponible. Il la rouvrit prudemment et quand il vit que la voie était libre, s'avança, fit le salut obligatoire aux officiers, main droite tendue sur la tempe, tendit la tablette en tremblotant, attendit que Mélissa lise et rende celle-ci, refit le salut et s'éclipsa. Un petit robot sortit d'une trappe en bas du mur, nettoya les bris de verre et disparut. Elle attrapa son arme, la fixa à sa ceinture en la caressant comme un fidèle compagnon et enfila son blouson de cuir noir bien ajusté sur ses hanches. Un dernier regard machinal dans le miroir sur sa silhouette parfaite, pour se rassurer et tout de noir vêtue, sortit de ses quartiers et se dirigea vers le pont supérieur. Sur le chemin, les lunettes qu'elle portait ne passèrent pas inaperçues. Tout le monde la saluait en lançant des "Capitaine" sans savoir si elle les entendait ou si elle les voyait. La coursive étant assez longue et large, habillée de métal, percée d'alvéoles de verre où l'on voyait les membres d'équipage s'afférer à diverses tâches permettant le bon fonctionnement de cette fourmilière géante. De l'autre côté, par les hublots, une vue imprenable sur la voie lacté et ses mystères. On aurait pu croire qu'elle serait fière de la traverser et de se montrer mais elle choisit de longer les murs comme si ceux-ci pouvaient l'effacer au monde qui l'entourait. En passant devant l'infirmerie du bord, elle essaya d'éviter le regard du médecin qui derrière sa vitre la suivait des yeux mais trop tard, il l'interpella. Elle fit comme si elle n'entendait pas mais une main sur son épaule l'arrêta net.

- Holà ! Pas si vite, Capitaine. Tu as encore du mal à dormir, on dirait, fit Julien Bonneur.

Il était grand, athlétique, légèrement bronzé, il passa sa main dans ses cheveux bruns et s'approcha d'elle.

- Fait-moi voir ça ! Dit-il la fixant de ses yeux bleus d'acier.

Il retira les lunettes un bref instant, fit apparaître des yeux noisettes fatigués, interrompu par la main du Capitaine qui les remit aussitôt sur son nez. Pas surpris du tout, il connaissait bien le problème de Mélissa, elle faisait des crises de migraines depuis toute petite et parfois récurrentes. Elle se renfermait alors sur elle-même et il la perdait parfois pendant plusieurs heures. Rien jusqu'à maintenant ne la soulageait. Il sortit de sa poche un injecteur et l'appliqua sur le cou de celle-ci. Une légère piqûre et le produit pénétra dans ses veines. Elle se sentit mieux quelques secondes et s'écroula ensuite dans les bras du praticien. Elle ne protesta pas croyant à un coup de fouet miracle, et non à un somnifère, que le médecin avait l'habitude de lui injecter à l'occasion. Mais l'occasion était devenue courante ces temps-ci d'où la décision de celui-ci de la plonger dans un profond sommeil. Il la transporta sur un des lits de la salle de convalescence et la laissa seule. Il était encore tôt mais une activité permanente sur l'Argon pouvait vous faire perdre la notion du temps, même aux meilleurs. Mélissa, en officier de police et Capitaine de vaisseau, était consciencieuse dans son travail à tel point qu'elle se mettait souvent en danger. Julien, son ami depuis l'enfance, l'avait avertie que cette fois-ci elle était allée trop loin mais ne l'avait pas écouté. C'était elle qui leur avait permis de se retrouver lorsqu'elle avait accédé au poste de Capitaine de l'Argon, le médecin attitré était en fin de carrière et elle avait recommandé Julien à ses supérieurs. Comme il était très bien noté, il avait eut le poste. Julien revint la voir aussitôt qu'il pouvait pour vérifier que son sédatif faisait encore effet. Il sourit en la regardant dormir et pensa que ces quelques heures de repos seraient bénéfiques à son entêtée d'amie. La seconde d'après, son sourire disparu, il pensa aux foudres de guerre qu'il venait de déclencher. Il leva la tête au plafond, soupira et sortit de la salle aseptisée.

Les yeux du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant