Chapitre 19 : David

1 0 0
                                    

Maintenant, il fallait s'occuper du cas de Martin. Il avait compromis plusieurs cadets et laborantins pour pouvoir exécuter ses méfaits sur l'Argon. Il leur avait promis de l'argent pour saboter les preuves et pour injecter un soi-disant somnifère pendant la bousculade provoquée dans la coursive. Ils s'étaient rendus d'eux-mêmes en se voyant trahis. Les cadets allaient passer en cour martiale et seraient révoqués de la police de l'espace, quant aux laborantins, ils seraient renvoyés et radiés de la branche médicale. Martin avait été isolé dans une cellule spéciale en verre insonorisée. Son uniforme blanc et gris de prisonnier était déchiré aux bords des manches, il s'acharnait dessus comme pour repousser quelques échéances. Il était tantôt agité tantôt recroquevillé dans un coin de la pièce. Parfois il parlait tout seul ou criait sur un interlocuteur imaginaire. Julien l'observa un long moment et en conclut qu'il était perturbé au plus haut point. Il appuya sur l'interrupteur et l'appela. Martin se leva et se précipita sur la vitre dans une rage folle. Il tapa avec ses poings, se fatigua et s'écroula sur lui-même. Sa blessure à l'épaule se réveillait mais il s'en fichait.

- Calme-toi, je veux juste discuter avec toi, Martin.

- Pas envie de parler avec toi, je veux la blonde, dit-il à mi-voix en relevant la tête et en fixant Julien d'un air agressif.

- Ok, mais je serais présent.

Julien le regarda avec une moue évidente et programma une injection par brume de sérum de vérité et de calmants sur le boîtier de la cellule. Quelques minutes plus tard, un nuage envahit la pièce et Martin devint doux comme un agneau. Il appela Mélissa et ils s'asseyèrent sur deux chaises face à la vitre, le haut parleur ouvert. Elle toqua sur la vitre pour avoir l'attention de Martin.

- Pourquoi ? Pourquoi tu as fais tout ça, Martin ?

- David, je m'appelle David... Dit-il d'une voix enfantine, J'ai perdu Marie, et Marie je l'ai retrouvée, tu sais et reperdue... A chaque fois.

- Marie c'est ta sœur, c'est ça... La jeune fille que l'on a retrouvée chez ta maman ? Mélissa joua le jeu de Martin.

- Oui, Papa l'a ramené de l'hôpital et elle ne quittait plus son lit après. Et on n'a plus revu Papa après ça, maman et papa se disputaient souvent, répondit Martin d'un ton enfantin.

- Et ta maman, que t'a-t-elle dit ?

- Maman a dit qu'il était parti en voyage et qu'elle s'occuperait de nous. J'allais voir ma sœur souvent dans sa chambre et après mon opération des yeux quand je posais des questions à Maman sur la vitre opaque qui la recouvrait, elle me disait qu'elle était nécessaire pour qu'elle guérisse totalement. Maman pleurait beaucoup. Mais j'ai vite compris qu'elle était morte et conservée dans une coque. Un jour, j'ai bidouillé les commandes, j'ai voulu la voir... Quand l'opacité c'est enlevé, je l'ai vue. Elle n'était plus jolie comme avant, elle était flétrie, j'ai crié et je me suis enfui et enfermé dans ma chambre. Maman changeait aussi. Elle parlait toute seule parfois, elle m'appelait Marie et pour lui faire plaisir, quelques fois je me déguisait en fille et maman était heureuse à nouveau. Mais cela ne durait pas. Elle replongeait dans son mal être. Elle prenait de plus en plus de calmants. J'allais à l'école pour m'évader du quotidien et m'acharnais à avoir des bonnes notes, je voulais être médecin, pour la guérir et quand j'ai pu la prendre en charge, je me suis occupé de tout. Elle me demandait sans cesse où été Marie et je continuais à me travestir pour elle. Je prenais sa voix, ses gestes et Maman râlait parfois parce qu'elle ne l'aidait pas à la maison. Alors je suis devenu son préféré puisque Marie se rebellait. Après, ça s'est brouillé dans ma tête, Marie prenait de plus en plus de place. Et je la voyait partout. Il fit une pause. Plus il avançait dans son récit plus sa voix devenait mature.

- A tel point que tu es devenu "elle" ? Demanda Mélissa.

- C'était ma moitié manquante, ma jumelle et ensemble on est plus fort. Elle a toujours été là. Tout ce que j'ai fait c'est pour Maman, pour qu'elle ne soit plus malheureuse.

- Et les meurtres dans tout ça ?

Julien pressa la manche de Mélissa qui le regarda d'un air interrogateur.

- Vas-y doucement, murmura-t-il avec un regard qui en disait long.

- Ce n'était pas des meurtres, je voulais récupérer un cœur pour Marie, pour qu'elle revienne, protesta-t-il avec sa voix normale.

Mélissa resta sans voix et regarda Julien, interdite. Elle reprit après un long moment, le temps qu'il se calme.

- Pourquoi avoir mis le feu à l'appartement de ta mère ?

- C'était nécessaire, elle aurait parlé, vous étiez trop proche de la vérité, et quand j'ai su qu'elle avait survécu, je suis allé à l'hôpital pour finir le travail mais j'ai été dérangé par une infirmière. Et après, je suis revenu mais elle agonisait, j'ai vu le médecin mettre un drap sur sa tête j'ai profité du mouvement de foule pour partir. Par la suite, j'ai récupéré Marie à la morgue et l'ai mise en sécurité. Il baissa les yeux.

- Martin... On est en train de le perdre, le sérum le fait dormir, intervint Julien.

- Martin... Où est le corps de Marie ? Mélissa tapa de la paume sur le carreau mais n'obtint pas de réponse. Martin...Martin...

- Laisse tomber, on n'en tirera plus rien aujourd'hui. On va le laisser se reposer, on reviendra plus tard.

Les yeux du passéWhere stories live. Discover now