Comedia della justice Part2

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Jour J du procès pour homicide involontaire.

Nous nous présentons le matin mes parents et moi-même au tribunal. Nous allons assister à la première fois à ce que le commun des mortels appelle un tribunal pénal et à ce que moi j'appellerai Comedia della justice.

Nous ne sommes pas seuls à arpenter les couloirs devant la salle d'audience. D'autres familles victimes d'un drame similaire au nôtre sont présentes. La tension est palpable, cette tension des gens qui espèrent justice et qui ont foi en ce système judiciaire qui protège ses enfants.

Notre avocat vient à notre rencontre dans sa robe noir corbeau, oiseau de mauvais augure ? Il essaye de nous rassurer en nous expliquant le déroulement de la journée. Le matin va être consacrer aux auditions des différents accusés et chaque dossier va être ouvert par Madame le Juge. L'après-midi les juges, procureurs, greffiers et autres robes de la cour délibéreront en huis-clos et en fin de journée rendront leur verdict public.

Tout cela n'est que procédure administrative, mise en scène froide et stérile qui ne signifie rien de très concret à nos yeux si ce n'est une chose commune à toutes les familles des victimes : voir le meurtrier de ses enfants, entendre le déroulement de la scène, entendre les détails du relevé médical.

Nous allons être confronté à la macabre décortication de l'accident et des conséquences physiques. Et là, nous voyions se lever et se mettre à la barre le responsable de notre malheur. Je le vois et mon sang se fige, se glace. Je ne suis plus là dans cette salle d'audience, je note mot à mot tous les détails, je me concentre et me replis sur moi-même. Je m'enferme dans un silence profond, derrière une muraille qui m'empêche d'avoir mal. Je ne suis plus là dans cette salle d'audience à l'écouter dire qu'il a vu un chien et qu'en évitant ce chien il a heurté mon frère.

Je ne suis plus là non plus, quand son avocat décrit cet homme comme un garçon équilibré, même s'il est issu des quartiers sensibles de notre ville. Un homme qui s'est se maîtriser, car il pratique des arts martiaux, qui prépare un BTS de vente, peut-il être foncièrement mauvais ? Cet accident est tragique pour la famille de la victime mais mon client n'a pas de casier judiciaire.

Ce jeune homme habite à quelques pâtés de maison plus loin de la nôtre. Le quartier en question était sujet à quelques tensions et passait parfois le rouge aux fêtes de fin d'année. Voyez-vous ce jeune homme sortait du lot, n'était pas comme tous ces voyous de son quartier. Il représentait la réinsertion sociale.

Je ne suis plus là non plus, quand notre avocat parle de mon frère, de sa vie, de ses passions et du deuil que traverse ma famille.

Je ne suis plus là quand le procureur du haut de son théâtrale balcon montre du doigt ce jeune homme et déclare d'un ton énergique qu'il faut se montrer sévère et que la peine doit être à la hauteur des erreurs commises, que de tels accidents sont inadmissibles.

Je ne suis pas là quand Madame le Juge lui demande de montrer sur le plan où était le chien d'un ton d'une indifférence totale et neutre.

Je suis là quand ma mère à mes côtés tremble et lui hurle « assassin ». Ce cri qu'elle lance, ce cri qu'elle ose lui jeter à la figure de cette vaste comédie où les dés sont jetés depuis bien longtemps, ce cri qu'elle sort est étouffé en moi. Je suis dans une cage et ma douleur et ma colère sont enfermées avec moi.

Elle, elle a raison d'amener du pathos dans cette bouffonnerie vide de vie, d'émotion où chacun des intervenants a un rôle déterminé à l'avance. Et où nous, famille des victimes, ne pouvons même pas nous exprimer. On écoute les assassins, jamais les parents des victimes.

N'oublie pas mon frèreWhere stories live. Discover now