Vie d'après

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Christian me manquera toujours et je ne peux m'empêcher de penser à lui mais aussi à la fragilité de la vie.

J'ai en moi, cette conscience de la temporalité des êtres qui composent ma famille et c'est pourquoi quand nous devons nous dire au revoir, quand je pars de chez eux, nous ne pouvons pas nous empêcher de partir en bon terme. Nous nous regardons toujours en ayant conscience qu'un jour se sera pour la dernière fois. Nos regards sont bien plus parlants que nos mots.

Quelques mois après le décès de Christian, Fabrice part avec sa femme pour la Martinique. Il a la possibilité d'y partir trois ans par la Marine. Nous nous disons au revoir à St Malo et ce fut un déchirement. Savoir qu'ils partaient à l'autre bout du monde et ne pas savoir quand ni comment nous nous reverrons était très dur. La Martinique n'est pas Brest et les kilomètres à franchir sont deux fois plus longs en cas d'urgence. Sur le trottoir, devant leur voiture, nous avons du mal à nous dire au revoir. La conscience de la vie, de son poids et de sa valeur nous étouffe parfois et me serre encore le cœur. Trois mois après son départ, voilà mon grand frère de retour, rapatriement sanitaire, il devait se faire opérer au Val de Grace pour une sciatique.

Christian n'est plus de ce monde et nous devons avancer dans nos vies, malgré notre peine, malgré la peur de la mort, faucheuse imprévisible.

Comment vivre ? Comment continuer sa route ? Quel remède trouver

Fabrice passe un an à Brest et ils nous annoncent la venue prochaine d'un enfant dans leur foyer. Je suis heureuse de ce pied de nez de la vie faite à la mort. Heureuse d'être là quelques jours après sa naissance et de serrer dans mes bras ce petit corps plein de vie. Quelques mois plus tard Fabrice repart en Martinique avec femme et enfant.

Moi je reste là au point de départ, face à cette mort qui reste indéfinissable et insondable. Je continue de sonder le silence de la nuit ou scrute la nature à la recherche d'une réponse à cette question récurrente : est-il bien là où il est maintenant ? J'ai besoin d'être rassurer, de me dire que mon frère n'avait pas souffert. J'ai besoin qu'il me donne un signe, un signe de l'au-delà. C'est complètement mystique et irréel ; quelle réponse peut donner un mort aux vivants ?

Je ne perds pas espoir cependant. J'attends ce signe, un signe que je saurai la seule à pouvoir comprendre, un signe qui ne me ferait pas peur. Christian ayant en horreur les films d'horreur ou d'exorcisme ne ferait rien qui puisse me faire peur.

Et puis un jour, face à sa tombe, invoquant son prénom pour la énième fois, le cœur en lambeau et les yeux voilés de pleurs, je lui demande de me répondre.

Et là, un moineau atterrit dans mon champ de vision. Je suis hypnotisée par ce petit bout de vie et je le suis du regard, puis je me mets à le poursuivre. Il s'envole, de pierre tombale en pierre tombale. Je suis donc ce moineau dans le dédale du cimetière et il m'emmène quelques mètres plus loin. Il s'envole et disparaît dans les airs. Je me retrouve devant une immense croix que je vois de dos. Je la contourne et me positionne devant elle. Au moment où je lève mes yeux sur le visage du christ, une nuée d'oiseau passe au-dessus de sa tête. Pour moi, le message est évident, mon frère me parle à travers eux. C'est un clin d'œil que seule moi peut comprendre.

Quand nous allions à la fac, nous avions pour plaisir d'observer les myriades d'oiseaux migrateurs. Leur valse nous captivait et nous restions là un bon moment bras dessus bras dessous à les observer sur la place de l'Etoile de Strasbourg.

Ce ballet aérien était magique,  ces milliers d'oiseaux ne faisaient qu'un seul et même corps. Pas d'accident, pas d'accrochage, leur vol était fluide, léger, essaim d'ailes et de plumes.

Alors oui, pourquoi ne pas croire en ce message venu du ciel ? Derrière le Christ(ian) apparut un essaim d'oiseaux. Cette envolée m'aide quelque peu à alléger mes questions. Je sais qu'il est quelque part autour de nous et de là où il est, il nous regarde. Il est maintenant entouré de nos deux grands-pères et peut philosopher avec eux ou avec tout autre écrivain, historien qu'il apprécie.

Mysticisme ou pas, je pense que c'est la seule chose qu'il peut m'envoyer, quelque chose de léger et d'aérien. Je l'imaginais en prise avec la souffrance, la souffrance de ne plus être là. Et en colère, en colère contre cette main faucheuse de vie et qui lui avait arraché toutes ses ailes et ses rêves.

Christian savait ce qu'il voulait faire de sa vie. Il avait depuis longtemps envisagé d'écrire et de publier ses textes. Il s'était renseigné sur les différentes maisons d'éditions spécialisées en poésie. Il avait demandé à un de ses camarades de l'armée, qui était dessinateur, de lui illustrer ses textes.

En plus de l''écriture, il voulait créer des ateliers pour les enfants ; atelier d'écriture, de lecture et de théâtre. Il n'avait pas peur d'affronter ses rêves à la réalité et pour lui c'est vers cet avenir qu'il se destinait.

Ses textes nous sont restés, seuls vestiges ancrés sur du papier traînant dans des tiroirs. Ils nous parlent de lui, nous rappellent à lui.

Et il y a des promesses qui sont lourdes, lourdes parce qu'elles conditionnent votre vie et donnent un sens à celle-ci. Mais lourde parce qu'elles portent en elle l'épée Damoclès au-dessus de votre tête. Dans sa chambre d'hôpital, je lui fis la promesse solennelle de publier ses écrits, de continuer son chemin. Il était mort une fois, je ne voulais pas qu'il meurt une seconde fois : Foeh ne mourra pas dans l'oubli. Il aimait les enfants, se montrait patient avec eux et je voulais faire quelque chose pour les enfants. Il aimait les livres et les BD et je m'étais dit que ce serait bien d'acheter des livres pour les enfants malades.

2008

Dix ans plus tard, je n'ai pas su tenir ma promesse, je n'ai pas pu le faire. C'était trop lourd à porter toute seule.

J'y pense encore et ces deux promesses traînent dans mes valises sans prendre forme, sans prendre pied dans la réalité. Il est des promesses lourdes à porter et à réaliser. Mais je ne peux m'empêcher d'y penser tous les jours et à chaque instant de ma vie. Dans ce que je fais, dans le quotidien de ma vie, tout raisonne en moi comme une trahison. Je suis là, bien vivante et je ne peux faire revivre mon frère. J'essaye d'accepter sa mort parce que je n'ai pas le choix mais je ne peux l'oublier et par respect pour lui je dois avancer, même si sa mort resta impunie.

N'oublie pas mon frèreحيث تعيش القصص. اكتشف الآن