Vies d'avant

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Reprendre le fil de la vie de Christian me fait comprendre quelle est ma place. Faire le ménage autour de moi est la première chose que je fais. Je regarde de manière différente la relation que j'ai avec les amis que nous avons en commun Christian et moi.

Je me rends compte que sans lui à mes côtés, nos soirées n'ont plus le même sel et que ma place n'est plus justifiée. Finalement Christian avait entretenu de bien meilleure relation avec eux que moi je n'en ai jamais eu. Je ne partage pas grand-chose avec eux. Avant j'y étais "la fille naïve", maintenant je suis "la sœur de Christian", celle qui leur rappelle la mort de Christian et eux me rappelle notre vie d'avant.

Quelques années plus tôt, mon frère se retrouvait sur les mêmes bancs d'université que moi. Nous avions choisi les mêmes cours et nous nous retrouvions souvent pour réviser ou préparer un oral. Le système universitaire n'était pas vraiment notre tasse de thé. Il nous arrivait souvent de préparer un oral la veille de l'examen. Combien de fois notre père, qui se levait à trois heures du matin pour partir au travail, nous retrouvait attabler dans la salle, des livres un peu partout et l'ambiance studieuse des personnes qui n'ont plus de temps à perdre. Nous ne dormions pas avant d'avoir bouclé notre exposé et arrivions souvent complètement épuisés en salle de cours pour entendre le professeur reporter l'examen à la semaine suivante. Nous avions alors le temps de nous relire et de faire un examen blanc entre nous.

Quand Christian n'était pas en cours, j'étais sûre de toujours le retrouver dans son repère fétiche. Pas dans un bar ni chez un ami mais au rayon BD de la FNAC. C'était son point de chute et depuis toujours. Plus jeunes, quand nous faisions les courses avec notre mère, il nous laissait toujours nous charger des courses pour filer au rayon BD à lire les Tuniques Bleus, les Gaston Lagaffe et autre BD de cette époque. Les courses finies, nous allions le récupérer et devions bien souvent le rappeler deux ou trois fois avant qu'il ne veuille bien lâcher son livre, bien malgré lui car nos courses, à son goût, ne duraient jamais assez longtemps.

Les étudiants de notre classe ou les professeurs de la faculté de lettres modernes nous prenaient pour des jumeaux. La question qui venait ensuite était de savoir comment un frère et une sœur d'âge différent pouvaient se retrouver sur les mêmes bancs. Qui avait suivi l'autre ?

Christian, jusqu'à son bac+2, avait suivi le cursus technique d'une formation en électrotechnique. Après le bac technique il passa un an en DUT technique qui lui fit comprendre que son métier n'aurait rien à voir avec les technologies. Il aimait les mots et leur sens, il avait toujours un stylo et un carnet d'écriture fourré dans son sac prêt à saisir une idée, une réflexion.

Aussi, il me rejoignit sur les bancs de la faculté. Nous n'étions ni médiocre, ni bon mais nous étions toujours solidaires dans les révisions, les TP à préparer et l'essentiel était d'évoluer dans un domaine qui nous plaisait : la littérature.

Nous partagions le même plaisir de l'écriture qui nous habitait depuis notre jeune enfance. Nous écrivions des poèmes, des textes, des petites scénettes que nous prenions le temps de nous lire le soir. Il venait dans ma chambre, s'asseyait à même le sol et moi dans mon lit, je lui lisais ce que j'avais écrit. Il me disait ce qu'il en pensait et ce qu'il en avait compris. Nous faisions le même exercice dans l'autre sens. Nous nous abreuvions d'auteurs à texte et notre formation universitaire ouvrit nos horizons d'auteurs ; des classiques Voltaire et la destinée, au puissant Rainer Maria Rilke. L'univers de la bande dessinée n'était pas en reste. Pour Noël, nous adorions nous offrir des BD, succès garanti, le meilleur des cadeaux à nos yeux et nous avancions ainsi sur le nombre de volume des différents Largo Winch, Dragons, Lanfeust, Vauriens...

Nos étagères étaient pleines de BD, au grand dam de notre mère qui ne voyait pas grand intérêt à de tels accumulateurs de poussières. Nous gardions aussi précieusement nos livres qu'il nous plaisait de relire ; Maria Rilke Rainer, Pirandello entre autres. Mais Christian affectionnait particulièrement les biographies : Henri Troyat par exemple. Il aimait comprendre la vie de ses hommes en plus de saisir le sens de leurs œuvres. Il lisait aussi les biographies du Général de Gaulle et s'intéressait à l'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale.

N'oublie pas mon frèreWhere stories live. Discover now