Deuil de toi, de ma vie aussi

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2008

Voilà dix ans que je traîne ma carcasse en retournant cette histoire dans tous les sens et ne sais pas comment faire pour dépasser ce deuil. J'ai pourtant tout essayé et j'ai traversé dans ma tête tous les déserts du monde sans jamais atteindre un seul sommet qui me permettrait de retrouver à nouveau mes racines.

J'ai pourtant fait du nettoyage autour de moi pour mieux voir l'horizon. Nettoyage radical, et volonté de ne plus voir les amis que nous avons en commun. Ils me rappelaient les moments que nous avions passés tous ensemble et où Christian était là. Et moi, je leur rappelai mon frère. Nous ne sommes jamais arrivés à trouver l'équilibre ; fallait-il en parler ? Fallait-il se taire ? Et nos soirées me rendaient mal à l'aise. Je n'y avais plus ma place. Je devenais la sœur de Christian alors que je n'avais jamais réussi auparavant à être Patricia. Ersatz de mon frère, j'étais toujours aussi inconsistante à leurs yeux.

Le départ de Christian me donna un tel sens aigu de la fragilité de la vie qu'il fallait que j'aille à l'essentiel, l'essentiel amoureux. Mon ami avec qui j'étais depuis dix ans ne m'apportait ni stabilité, ni confiance. La mort de Christian m'ouvrit les yeux et je me débarrassais de cet être, le vampire qui me prenait toute mon énergie sans m'en donner en retour. Egocentrique, égoïste, radin, il ne pensait qu'à lui et depuis neuf ans j'attendais son réveil. Un an après le décès de Christian, je compris, enfin, qu'il ne changerait jamais. J'avais assez donné, il fallait là aussi tourner la page.

Je suis aussi passée par le renoncement. Renoncement des promesses que j'avais faite à mon frère. J'enfermais à double tour dans un petit coffre promesses et passions. J'effaçais toutes traces d'écriture et j'étouffais en moi cette valse des mots avec laquelle j'aimais jongler. Deux ans de solitude littéraire, d'amnésie totale de mes envolées lyriques. Deux ans à oublier de vivre. Je ne lisais plus, je n'achetais plus de bd et je longeais les murs de peur que l'on me remarque. Je ne voulais plus voir les textes de mon frère, je ne fouillais plus ses affaires à la recherche de je ne sais quelle réponse. Je ne cherchais pas non plus à reprendre contact avec son ex petite amie. Le fil était rompu, elle devait continuer sa route sans Christian, sans nous et nous sans elle. J'enterrais mon frère pour la seconde fois. J'enterrais nos souvenirs communs et j'étais incapable de me souvenir de quoi que ce soit. Ma tête était un musée sans objet de collection, poussiéreux, mort. Et lors de nos repas de famille nous n'évoquions plus son prénom et nos regards se fuyaient par peur, par pudeur.

Après quoi, je lui en voulus d'avoir éteint en nous toute forme de vie. Je lui en voulais d'avoir changé ainsi nos vies de tout en tout.

Pourquoi ne s'était-il pas battu pour vivre ? Pourquoi ne pas avoir résister à la souffrance ? Pourquoi nous avoir laissé ainsi ? Je lui en voulais de ne plus être là. Je l'ai détesté et terni son souvenir pour l'annuler de ma mémoire. Je lui en voulais d'avoir à traverser cette épreuve dure, longue et où la douleur reste constante et parfois tellement insoutenable au point même de songer à partir à sa suite.

Je voulais alors partir avec lui, faire le grand saut dans la tombe. Partir, disparaître pour arrêter cette souffrance lancinante, cette moissonneuse batteuse qui me broyait le cœur, l'âme et le corps. Je n'avais plus la force d'avancer, mettre un pied devant l'autre était la seule préoccupation quotidienne. Je ne pouvais penser au lendemain. Je ne regardais plus mon reflet dans le miroir et fuyais mon regard qui avait la même couleur que celui de Christian. Je fuyais la vie en m'éloignant de moi-même et je creusais ma propre tombe, une église sans clocher, un fantôme sans âme. Mon corps était un bateau fantôme prisonnier de ma douleur.

Je reste debout devant sa tombe mais je ne suis pas partie de cette vie. Je restais parce que d'autres restent. Si l'un de nous tombe, la ribambelle de domino qui est derrière lui tombe aussi. Je tenais parce que je me devais de vivre pour lui, lui qui ne vivait plus. Moi je pouvais encore respirer, marcher même si c'était douloureux. J'avais un avenir et un passé qu'il fallait réapprivoiser. Je ne devais pas me laisser submerger par ma douleur, je devais apprendre à me montrer forte et invincible.

N'oublie pas mon frèreNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ