Chapitre 21

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LORN - ANVIL



Tadelesh était allongé sur son lit, les paupières closes. Son esprit passait d'un souvenir à un autre, comme s'il zappait les chaînes d'une télévision. L'un d'entre eux brilla plus que les autres. Il l'appela dans son esprit, comme il s'était entraîné à le faire. Cet exercice ne lui demandait plus autant d'efforts qu'auparavant. Le fragment de mémoire se prit dans sa toile. Il s'offrit à lui, sa vision se révélant peu à peu, semblable à la focalisation d'un objectif. 

La scène prit place dans une maison de fortune, le toit miraculeusement maintenu par des poutres en bois. Une table usée tenait en son centre un bol en argile. Seules les flammes d'une cheminée perturbaient le silence de la pièce. Sur deux chaises étaient installés une femme et un homme. La femme portait une robe rudimentaire tandis que l'homme était vêtu d'une longue cotte. 

Tad remarqua un trou dans sa chausse gauche. Lui-même se tenait près de la cheminée, perdu dans ses pensées. Il n'était pas acteur du souvenir et pouvait donc simplement observer la scène des yeux de son ancêtre. Son esprit cohabitait avec celui de cet autre corps. Plusieurs émotions le traversèrent. L'inquiétude. La colère. L'espoir. Il semblait attendre quelque chose. Une quatrième personne fit son apparition en ouvrant la porte. L'homme regarda chaque membre de la pièce d'un air grave.

« C'est fait », annonça-t-il simplement.

Tadelesh ne connaissait pas ce langage. Il en comprenait le sens, comme si la traduction se faisait par le biais de l'esprit de son ancienne vie. Il perçut le soulagement du corps dans lequel il résidait.

« Bien. C'est bien dommage d'en arriver là, mais nous n'avions plus vraiment le choix », observa Tadelesh d'une voix mélodieuse.

Il nota qu'il était une femme à la voix haut perchée dans cette vie. Il se vit prendre un seau et verser de l'eau dans une marmite qu'il plaça au-dessus du feu. Le jeune homme qui venait d'entrer s'affala sur l'une des chaises, visiblement dévasté.

« Quand est-ce que ça s'arrêtera, Tiphaine ? gémit-il en passant une main dans ses cheveux bruns. J'ai l'impression de passer ma vie à arrêter celle des autres. Je croyais que nous allions sauver des vies...

— Cesse de douter de nos actions, Geoffroy, le coupa l'autre homme. Tu as vu ce que Clovis nous a montré. Sans nous, Charlemagne ne pourrait pas régner et les répercussions seraient catastrophiques.

— J'ai compris ça, mais qu'en est-il de notre vie à nous ? Jamais je ne pourrai revoir ma fille. Et Clotilde... »

À l'évocation de ce prénom, la femme silencieuse hoqueta. Tadelesh vit ses poings se contracter tandis qu'elle fixait un point au loin, les yeux brillants. Son propre esprit était parasité par un immense chagrin. Ses mains se crispèrent.

« Clotilde a choisi son destin dans cette vie. Son sacrifice ne doit pas avoir été accompli en vain. Nous devons continuer ce pour quoi nous existons.

— Je sais tout ça. J'ai prêté le même serment que vous. Mais quand est-ce que nous aurons accompli tout ce pour quoi nous sommes ici ? Trouverons-nous un jour la paix ? » murmura-t-il, l'air abattu.

Tiphaine ne trouva rien à répondre. Tadelesh ressentit son désarroi. Quelqu'un les appelait à l'extérieur de la pièce et ils sortirent d'un même mouvement, les traits tirés. La scène se recouvrit d'un voile, les voix n'étant plus que de lointains murmures. Il patienta encore quelques instants avant de rouvrir les yeux. Il était de retour dans sa chambre. Il se leva péniblement. L'air hagard, il partit se doucher, désireux de s'éclaircir les idées. Lorsqu'il en ressortit, un vieil ennemi lui fit face. Il avala sa salive avec difficulté. Son propre reflet.

PRISME Tome 1. L'Éveil [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant