CHAPITRE 23 - La souffrance d'aimer

Começar do início
                                    

— ­Je n'ai été amoureuse qu'une fois, déclara-t-elle à brûle pour point. J'ai eu plusieurs... aventures — sans grande importance — mais avec toi, pour la première fois dans ma vie, j'ai vraiment eu la sensation de ressentir mon cœur jusqu'au fond de mes tripes. C'était il y a deux ans ; c'est révolu maintenant, mais je m'en souviens comme si c'était hier. Alors je ne suis peut-être pas une professionnelle, mais de ce que j'ai vécu, je crois bien que oui, l'amour, c'est ça.

Elyon ne répondit rien, le cerveau embrouillé.

— Tu lui as dit, au moins ? lui demanda-t-elle, se baissant pour essayer de capter son regard caché derrière sa tignasse de geai.

— À quoi cela servirait-il ? s'exaspéra-t-il. Tu connais aussi bien que moi cette histoire, celle du Prince déchu. Lui et son aimée provenaient des mêmes royaumes que nous, et celle qu'il aimait a été transpercée d'une lame pour le punir. Nos peuples se détestent, s'engager dans une histoire pareille est une folie. Je ne supporterais pas de la perdre, le jeu n'en vaut pas la chandelle.

Elle soupira, passant ses doigts dans sa longue chevelure couleur de feu.

— ­ Elyon, les mentalités devraient avoir changé, non ?

— Même si ce n'est qu'un risque... Pas cette fois, je ne peux pas. Je préfère passer mon tour et la voir avec un autre plutôt que de savoir que Seira ne pourrait ne plus jamais faire partie de mon monde.

— C'est cela qui te retient ?

— Ça, et le fait qu'elle ait un statut bien plus élevé que le mien. (Voyant le regard agacé de la princesse, il développa :) Je ne me sens pas inférieur à elle, je ne suis pas frustré, simplement, j'ai cette sensation de ne pas la mériter.

— J'ai presque l'impression de te préférer solitaire ; quand tu es amoureux, tu frôles la stupidité, sérieusement. Elyon, écoute-moi : (il redressa la tête) tu penses réellement que si tu avais été banal, médiocre — ou tout ce que tu veux — j'aurais posé les yeux sur toi ? Tu crois vraiment que si tu ne convenais pas à Seira, elle serait tombée amoureuse ?

Elle se mit à marcher de long en large dans la pièce, ses longues ailes cuivrées pleines de fougue face au mécontentement de leur maîtresse.

— Et puis si tu penses que quelqu'un tombe amoureux pour le statut que porte l'autre, tu es complètement à côté de la plaque. Ce qui l'intéresse, c'est toi tout entier, ce qu'elle a su voir en toi sous tes airs de gros dur. Et puis si ce que je te dis ne suffit pas, réveille-toi, un peu ! Tu es un Invictus, probablement la distinction la plus grande que l'on puisse attribuer à un soldat, surtout à ton âge. Tu es le guerrier le plus doué que ma Grand-Tante ait jamais eu, et en plus de cela pratiquement tout le monde dans le milieu de l'armée te connaît.

Il secoua la tête. Cela ne suffisait pas. Quelque chose le retenait. La peur peut-être ? Depuis le jour où il l'avait vue pour la première fois, il s'était comme métamorphosé, revenu à celui qu'il avait essayé de combattre toute sa vie ; cet Elyon fragile et sensible, qui redoutait l'abandon et la souffrance plus que tout. Il s'était déconcentré, avait acquis une nouvelle faiblesse ; il ne voulait pas, de tout ça. Il devait rester fort, être capable de protéger les autres sans avoir à se protéger soi-même.

— Quand bien même je la mériterais, nous ne sommes pas faits pour être ensemble, et je lui ai dit. C'est un être de l'eau, et nous résidons dans les airs. Elle vit la nuit, nous nous levons à l'aube ; elle n'a jamais été soumise à ce mode de vie, mais quand elle occupera le trône d'Oblivion, elle y sera bien obligée. Et à quoi cela aura-t-il servi, alors ?

Lenora garda le silence, s'étant immobilisée dans un coin de la pièce. Il poursuivit, d'un ton plus dur, plus décidé :

— Il vaut mieux que je parte.

La Gardienne des Légendes ✷ Tome I. La Relève [REPENSÉ & RÉÉCRIT]Onde histórias criam vida. Descubra agora