5- Halloween

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Madeleine et les filles avaient fini d'installer les toiles d'araignées factices entre les meubles patinés de la salle à manger. On avait disposé de petites courges rigolotes au centre de la longue table, entre les chandeliers. Des cucurbitacées évidées aux expressions menaçantes illuminaient les deux bahuts. On en avait aussi placé une sur les marches d'escalier, à l'extérieur. Carpette attaquait maintenant la créature orange pour se donner une contenance.

Il était temps pour Suzy de déverser les bonbons dents de vampire et têtes de mort dans un saladier. Ni vue ni connue, elle en avait chipé un dans la foulée. Et hop une petite gomme au réglisse qui glisse au fond du gosier !

Sa mère était aux fourneaux. Le velouté mijotait. Une bonne odeur de citrouille chaude se diffusait dans le manoir. Elle faisait maintenant griller les graines de courges avec un peu de sel. Ce serait parfait sur la salade verte.

— On a quoi en dessert ? demanda Suzy.

— Un délicieux fondant potiron-chocolat !

— T'as fait un dessert à la citrouille ? Pouah... Quelle horreur.

— Tu n'as jamais essayé, alors ne commence pas !

— Ah, ça me dégoûte... Heureusement qu'on a pris des bonbecs !

— Oui, et ben tu vas te calmer sur les friandises. Tu crois que je t'ai pas vu en piquer tout à l'heure ? Où est ta petite sœur, d'ailleurs ?

— Elle était pas avec toi ?

— Tu vois bien que non !

C'était bizarre. D'habitude, en bonne goulue qui aimait coller ses doigts partout dans les plats, Sarah ne la lâchait pas.

— Attends Maman, j'ai une idée...

Suzy se plaça dans le hall d'entrée, les mains en porte-voix.

— Sarah, je vais bouffer tous les bonbons, alors tu ferais bien de te grouiller !

Madeleine se joignit à sa fille :

— Oui ma chérie, à table ! Le dîner est prêt !

Il n'y eut pas la moindre réponse.

— Écoute ma Grande... Nous en attendant, on va s'installer. Elle va certainement arriver.

— Je suis sûre qu'elle est encore fourrée avec cette poupée, dit Suzy, en étalant une serviette en coton brodé sur ses genoux.

Et tandis que Madeleine déposait la soupière au centre de la table, Carpette vint se ramasser à ses pieds, tremblante comme une feuille.

— Qu'est-ce qui t'arrive, ma fifille ? s'inquiéta Suzy.

La chaise prévue pour Sarah crissa sur le parquet. Une petite masse semblait s'y hisser.

— Rosalynde a faim !

Madeleine ne reconnut pas cette voix.

Soudain, toutes les bougies s'éteignirent. Deux flammes rouges prirent alors le relais.

Ainsi font, font, font / Les petites marionnettes,

D'un seul bond, Carpette bondit sur la serviette de Suzy.

— Sarah, arrête ! T'es vraiment pas drôle, articula l'aînée, horrifiée.

Madeleine s'extrayait déjà de sa torpeur. Déterminée, elle mit la main sur un briquet. À l'aveugle, elle ralluma une chandelle.

Puis elle se pencha : sous la table, de maigrichonnes jambes de chiffon pendaient dans le vide. Il n'y avait rien d'autre. Personne.

— Ce n'est pas ta petite sœur...

Ainsi font, font, font / Les petites marionnettes,

Les citrouilles grimacèrent. De nouveau, le bois de la chaise hurla.

Ainsi font, font, font / Les petites marionnettes,

Un petit rire maléfique résonna dans toute la maisonnée.

Ainsi font, font, font / Trois p'tits tours et puis s'en vont.

RosalyndeWhere stories live. Discover now