4- Le marché

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Deux jours s'étaient écoulés sans le moindre incident. À croire que rien n'avait jamais eu lieu. Ainsi, Madeleine avait-elle pris la décision d'intégrer la maison pour la nuit. La vie pourrait ainsi poursuivre son cours.

— Les filles, puisque ce soir c'est Halloween, je propose qu'on aille faire quelques emplettes au marché du village. Ça vous dit ?

— Ouii, et on prendra des citrouilles ? demanda Sarah.

— C'est une bonne idée.

— Et on leur fera une tête horrible ?

— C'est tout l'intérêt, ma bichette !

— On pourra acheter des bonbecs aussi ? rajouta Suzy.

— Oui, mais pas trop.

— Oh, juste une tonne !

— Si tu tiens à perdre tes dents avant ta majorité...

— T'es lourde...

— Pas autant que tes futurs plombages, ma chérie. Et je te prie de rester correcte, merci.

— Ça va... On prend Carpette ? Ça lui fera des vacances. Elle est toute stressée à cause de cette... « Rosa-chose ».

— Alala... Encore cette histoire ! Bon allez zou, en voiture !


Suzy ne croyait pas si bien dire. Carpette ne ferma pas l'œil de la nuit.

Au cœur de l'obscurité, du fond de son panier, elle entendit raisonner des pas vifs sur le parquet... Elle crut d'abord à l'une de ses petites maîtresses. En bonne gardienne, elle tendit l'oreille et la truffe. Mais l'air ne lui renvoya aucune odeur, aucune vibration humaine. Les poils de son échine se dressèrent : elle les reconnut, les ondes vilaines qui lui parvenaient...

Ainsi font, font, font / Les petites marionnettes,

Ainsi font, font, font / Trois p'tits tours et puis s'en vont.

Et elles danseront / Les petites marionnettes,

Et elles danseront / Quant les enfants dormiront.


L'énergie joyeuse qui émanait du marché dénotait avec l'ambiance mystérieuse qui régnait au domaine. Les petites en étaient enchantées.

— Voilà. J'ai acheté de bons champignons pour la poêlée de demain.

— Regarde Maman ! Des énormes citrouilles ! s'exclama Sarah.

— Ah parfait. C'est là qu'on va se fournir. Bonjour Madame !

— Bonjour bonjour ! s'adressant à Sarah, comment t'appelles-tu ma petite ?

— Rosalynde, comme ma poupée !

— Non, c'est Sarah... Elle s'appelle Sarah. Je suis désolée...

— Bah, ne vous en faites pas, se penchant vers Sarah, moi c'est Monique. Tu sais, Rosalynde... C'est un prénom rare. Mais je l'ai déjà entendu quelque part ! À Madeleine, embarrassée : dites, c'est vous qui avez emménagé dans le manoir des Rostang ?

— En effet, oui. Bouquette était l'une de mes grandes tantes. Mais je ne la connaissais pas vraiment.

— Ah... Alors vous n'avez jamais su...

— Jamais su quoi ?

— Écoutez, là je ne peux pas en parler... Mais retrouvons-nous au bistrot du village vers quatorze heures. Je vous raconterai.


Après leurs courses et cette rencontre des plus étranges, Madeleine décida de faire une pause. Il restait du temps avant l'heure du rendez-vous. Les filles et leur fidèle Carpette furent partantes pour grignoter quelques crêpes. Mais plus l'heure de cette curieuse entrevue approchait, plus Madeleine sentait un nœud se nouer dans ses tripes. Elle essayait de le cacher, mais Suzy qui captait tout ne fut pas dupe.

— T'as pas faim Maman ? C'est ce que la fermière t'a dit qui te perturbe ? C'est dommage. Elles sont vachement bonnes, ces crêpes...

— Oui, surtout celles avec de la crème Gentilly, enchaîna Sarah.

D'ordinaire, Madeleine aurait relevé pour corriger l'erreur de sa fille. Mais là, elle était trop absorbée. Qu'allait bien pouvoir lui raconter cette inconnue ?


Elle poireautait dans le seul café du coin depuis une demi-heure déjà. Elle avait demandé aux filles de patienter dans la voiture garée juste devant. Son choix de table près de la vitrine lui permettait de garder un œil sur sa tribu sans avoir à la mêler aux révélations qui pourraient lui être faites.

Elle avait assez attendu. Presque soulagée, elle prit la décision de rejoindre ses enfants, quand subitement, un pompier se présenta au comptoir.

— La Monique, pliée en deux ?

— Incapable de bouger, j'te dis. On pense que c'est un lumbago.

— Une femme si vaillante, la robustesse incarnée... Ça lui a pris comme ça ?

— Oui, à la fin du marché. Ses voisins l'ont vu danser la gigue, et puis elle s'est contorsionnée et s'est retrouvée le cul en l'air, la tête dans une cagette de citrouilles...

Madeleine les interrompit :

— Excusez-moi, j'ai entendu votre conversation... J'ai parlé tout à l'heure à cette dame. Elle m'a donné rendez-vous ici. Mais...

— Eh beh ! Avant que la Monique fasse « salon de thé », va falloir la déplier ! plaisanta le pompier.

— J'aimerais la contacter pour prendre de ses nouvelles. Elle s'adressait au cafetier : vous auriez ses coordonnées ?

— Pour sûr, té ! Et ma foi, chui désolé ! En trente-cinq ans de citrouilles, c'est ben la première fois que ça lui prend, à la Monique.

Madeleine remercia et rejoignit la voiture.

— Alors Maman, tu lui as parlé à la gentille dame ?

— Non ma chérie. Elle n'a pas pu venir. Il lui est arrivé... Quelque chose.

— Ah, c'était ça les pompiers ? interrogea Suzy.

— Oui.

Madeleine était visiblement troublée.

— Ça va Maman ?

— Oui oui. C'est juste que... Je sais pas.

Carpette s'avança pour lui faire un câlin. Elle, elle savait.

RosalyndeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant