Soirée d'été

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(10.8.2019)


Nous sommes en fin d'été. Le 10 août 2019. Dans moins d'un mois c'est la rentrée. C'est douloureux de se l'avouer, mais il faut regarder la réalité en face; ce n'est pas si mal, la rentrée.


C'est le moment de voir de nouvelles séries sur Netflix. C'est le seul argument que j'ai trouvé (rire ironique).

Mais aujourd'hui je ne suis pas là pour vous parler de la rentrée (surtout qu'au moment où vous lirez ceci, la rentrée sera déjà passée depuis longtemps) mais plutôt de la mort. Oui, toujours très joyeux comme sujet.

(Ceci est tiré d'une histoire vraie, pour cela j'ai modifié le nom des personnages par soucis d'anonymat)



Alors reprenons; nous sommes en fin d'été. Ce soir, il y a une sorte de concert de reggae au bord de la plage. J'y vais avec des amis. Mais comme je m'ennuie un peu, je préfère rentrer chez moi. Il est 22h30.

Il fait encore chaud. 28°C. J'ouvre ma fenêtre, barricadée d'une moustiquaire, c'est une obligation dans une région comme la mienne.

Trop tôt pour m'endormir, je décide d'aller sur Netflix pour regarder un film sympa avant d'aller me coucher.


Puis, vers 23h, quelqu'un appuie sur la sonnette de la maison. Bizarre. Je ne m'affole pas, des gamins font le coup tous les ans. Ça sonne à nouveau. Mon grand-père, qui est là pour les vacances, décide d'aller voir. « On ne sait jamais » avait-il dit. Je le suis jusqu'à l'entrée. Il ouvre la porte, et nous voyons le voisin appuyer sur la sonnette des autres maisons de la résidence. Il a l'air complètement déboussolé, voire perdu. Mon grand-père décide d'aller à sa rencontre. Étant en pyjama d'été, débardeur/short, je préfère rester sur le tapis de l'entrée. A l'extérieur, pour guetter ce qu'il se passe.

Le voisin, Hugues, un vieux de plus de quatre-vingt ans, est affolé. D'autres voisins arrivent, alertés par l'agitation naissante dans la résidence. Dans son flot de parole incompréhensible, je comprends « Bernadette.....tombée.....sol...... tête.....peur.... ».



J'ai peur. De ce qu'il va se passer, de ce qu'il est entrain de se passer. De la tournure que prend cette soirée de fin d'été.



Bernadette, sa femme. Une vieille aussi, du même âge que son mari. Elle fait de nombreux allers-retours entre son domicile et l'hôpital depuis quelque temps. C'est un fait. Mais je ne pensais pas que c'était si grave. Un voisin appelle les pompiers. Mon grand-père se rend dans la maison du drame.

Puis plus personne dans la rue. C'est silencieux, trop silencieux. Comme le moment calme juste avant la tempête. Le temps passe si lentement dans ce genre de situation. Les secondes s'écoulent comme des minutes, les minutes comme des heures.

D'un coup, la sirène des pompiers se fait entendre. Dans une telle résidence, elle résonne même. Et une petite voiture, une clio si mes yeux sont bons, aux couleurs typiques des pompiers apparaît à l'entrée de la résidence. Deux jeunes hommes, en uniforme, sortent de la voiture du médecin et se dirigent vers la maison de Hugues et sa femme. Ils ne s'échangent aucuns mots, entrent dans la maison puis le calme revient. Enfin plutôt le silence, parce qu'à défaut d'avoir éteint la sirène, les gyrophares sont toujours allumés et illuminent les façades de maisons d'un bleu éclatant.

Je décide de rentrer. Il n'y a rien à voir de toute façon. Je remonte mon escalier, le cœur lourd. Je me rappelle quand j'allais les voir, ces vieux. Pour Halloween par exemple « Des bonbons ou un sort » et qu'ils remplissaient mon sac en forme d'araignée de nombreux bonbons plus délicieux les uns que les autres. Ou encore lors de la chandeleur, pour leur demander du lait parce que ma mère avait fini la dernière bouteille dans son café du matin.


C'est bizarre quand même, se rappeler des bons moments qu'on passe avec ses proches alors que leur vie est (peut-être) sur le point de changer à jamais. J'ouvre la porte de la salle de bain, qui depuis la fenêtre, a une vue imprenable sur la rue. Étant ouverte, j'entends deux personnes parler, mais je comprends seulement deux mots, et pas n'importe lesquels: « Bernadette » et « attaque ». Je ne sais pas qui parle, mais ces deux mots me choquent. Je me doutais que quelque chose de grave se passait dans la maison d'à côté, à peine 10 mètres de la nôtre. Mais mettre des mots sur ce « quelque chose de grave » fait bizarre. Je ne m'y attendais pas. J'ai du rêver, ou mal entendre.

J'aperçois une ambulance, derrière la voiture des médecins. Non, c'est réel. J'entends la porte d'entrée s'ouvrir, mon grand-père est revenu. Il me dit que ce n'est pas beau à voir, ça concerne la voisine. Je le savais déjà. Elle est tombée du canapé, elle était allongée par terre en faisant des convulsions puis les médecins sont arrivés à ce moment là. Et elle s'est arrêtée de convulser. Son cœur bat encore, me dit mon grand-père, mais elle est foutue. Même les pompiers sont sceptiques. Ils attendent qu'elle soit stable pour la transporter mais c'est peine perdu. Son visage reste impassible, peut-être à cause de la fatigue. Depuis ma chambre, j'aperçois les gyrophares. Ils projettent l'ombre d'un olivier, celui d'un autre voisin.

Je me couche. Ma soirée Netflix est foutue. J'essaye de m'endormir, mais impossible. Trop de pensées. Une « attaque » arrive si vite, et sans prévenir. C'est terrible. Je mets mon masque pour dormir, de façon à ne plus voir les lumières qui éclairent la rue. Celles qui en temps normal sauvent des vies.

Vers minuit, ou même un peu plus, j'entends des voitures démarrer. Je ne dors toujours pas. J'enlève le masque, je ne vois plus les gyrophares, ils sont donc partis. Puis je m'endors, trop fatiguée pour penser à la mort qui nous guette à chaque coin de rue, à chaque moment de notre vie, à chaque action accomplie.

Le lendemain, j'apprends que mon grand-père a des nouvelles des voisins. Il s'en doutait, la vieille a fait un AVC. Et elle est dans un tel mauvais état qu'elle est plongée dans le coma. Les médecins à l'hôpital sont aussi sceptiques que ceux des pompiers. Pour eux, elle n'est pas morte, mais presque.


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Voilà mon histoire du jour, je sais que ce n'est pas très joyeux, mais il ne faut pas en masquer l'existence non plus. La vie n'est pas toujours joyeuse. Mais elle n'est pas toujours triste non plus, c'est un mixte entre ces deux sentiments/émotions. On est tous destiné, au moins une fois dans sa vie, à voir la mort de ses proches, quasiment de ses propres yeux. Ce n'est pas toujours facile, surtout quand c'est un membre de sa famille. Ces voisins-là ne font pas partie de ma famille, mais ce sont des connaissances depuis plus de dix ans. Nous leur rendions visites souvent.

(A l'heure où je vous écris, le couple de vieux est toujours en vie.)

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