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            J'ai lu tous les poèmes de Verlaine. Et ceux de Baudelaire. Et ceux de Rimbaud. Maintenant je ne sais plus quoi faire. J'ai pas dormi beaucoup ces derniers temps. Mon père et ma mère ont beaucoup crié, mais mon père me parle. Il me voit. Je suis là. Ce n'est jamais lui qui claque la porte, il a sans doute trop peur que je profite de son absence pour faire des bêtises.

Quand il a vu que j'avais brisé le miroir, il a tenu à ce qu'on discute. La discussion a duré cinq minutes, mais j'ai eu l'impression qu'elle durait des heures tellement il y avait de silence. De toute évidence mon père ne savait pas quoi me dire.

- S'il te plaît, parle moi.

Et moi, je ne savais pas quoi lui dire non plus.

- Ce miroir était drôlement moche.

Silence. Silence. Silence.

- D'accord. Tu t'es blessé ?

- Pas en frappant le miroir.

C'était la vérité. Je m'étais blessé ensuite. Avec le morceau récupéré.

Silence.

- Papa c'est bon, je ne vais pas me tailler les veines.

Silence très gêné.

- D'accord. Bien.

Silence.

Il s'était finalement levé.

- Tu peux me parler si tu as besoin.

- Okay papa.

Puis il était sorti de ma chambre. Visiblement aussi soulagé que moi que cette conversation prenne fin.

Ma mère a crié sur mon père, pour le miroir, comme si c'était lui qui l'avait cassé. Peut-être qu'elle avait peur que si elle me criait dessus, j'allais cafter l'histoire de l'autre homme qui n'est pas mon père. J'aurais préféré qu'elle me crie dessus, j'aurais peut-être eu l'impression de compter encore pour elle.

Depuis, ils ont changé le miroir, et mon père m'a demandé de ne pas le briser. Question d'ordre pratique. Les miroirs ça coûtent cher.

Au repas mon père me parle, alors je lui parle aussi.

- Qu'est ce que tu as fait aujourd'hui ?

- J'ai terminé Rimbaud.

- Tu as aimé ?

- C'était pas mal.

Ma mère est là, mange, n'écoute pas. Elle ne sourit jamais quand elle est avec son époux et son fils. Non. Elle préfère l'homme qui n'est pas mon père, lui, il la fait sourire. J'ai envie de hurler, de la secouer. J'ai envie de lui crier « regarde moi ! Tu m'as mis au monde, alors assume ! Assume ! ».

Je ne dis rien, je mange les pâtes qu'elle a cuisinées. Pas de beurre, pas de sel, pas de sauce. Goût carton. Et ce serait goût merde que ce serait la même chose.

Plus rien n'a vraiment de goût. 

Le goût amer du chocolatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant