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            Je me suis maquillé, j'ai mis une robe de ma mère. J'ai essayé une de ses paires de chaussures mais mes pieds sont plus grands que les siens et ça me faisait mal. Et autant dire que je suis nul avec des talons, il faudrait que je m'entraîne. Alors je suis resté pieds nus. Puis j'ai rallumé l'ordinateur.

Je ne suis plus Chocolate. Je suis Chocolate le pédé qui s'habille comme une fille. Je suis sûr que lui est plus courageux que moi. Après tout, il doit sans cesse supporter les insultes, les bousculades, les menaces, l'isolement, les moqueries, la méchanceté, le regard, les rires, et parfois même les coups. Ce Chocolate-là est endurci, il n'a sûrement peur de rien.

Mais même ce Chocolate-là se retrouve paralysé face au fantôme. Ce Chocolate-là ne peut tout simplement pas le supporter. Alors je ferme l'ordinateur.

Je ne suis pas assez fort. Peut-être ne le serai-je jamais.

J'enlève la robe et le maquillage. Je regarde mon œil, il est encore un peu violet, mais j'admire le pouvoir de guérison du visage, bientôt on ne verra plus rien. Bientôt je serai à nouveau chocolat blanc. Je le regrette. Alors je décide de changer ça.

Ma mère ne m'a frappé que quand le lycée l'a appelé, et ce n'était que deux misérables baffes, pas terrible. Mon père n'ayant rien fait, je ne suis pas sûr qu'il me soit d'une grande aide non plus. J'ai du mal à me frapper tout seul.

Je décide d'utiliser la porte. Avec un élastique que j'ai attaché à la poignée de la porte de ma chambre, je la fais venir jusqu'à moi à toute vitesse et elle s'écrase sur mon front et mon nez. Je recommence, elle cogne ma bouche. Je recommence. Je recommence. Je recommence. Je saigne du nez, j'ai mal au visage, mais ce n'est rien du tout. Alors je recommence, je recommence. Et mon père finit par venir à cause du bruit. Il retient la porte avant que je ne puisse me cogner encore une fois.

- Mais qu'est ce que tu fais ?

Il me regarde, vraiment, cette fois-ci. Je suis là, devant lui.

- Chocolate, pourquoi tu fais ça ?

Sa voix n'est qu'un murmure, mais il me reconnaît. Malgré le sang qui me coule du nez, malgré ma lèvre fendue.

- Je ne sais pas. Je me trouvais trop blanc.

Il a l'air choqué, il ne comprend pas. Je ne comprends pas non plus, je ne peux pas lui donner de réponse. Et il reste là encore un moment, les bras ballants, sans savoir quoi faire de ce fils qui se cogne le visage avec une porte. Il semble perdu. C'est sûr, personne n'explique aux parents quoi faire quand leur fils devient fou.

Il finit pourtant par réagir, prends mon bras et m'emmène dans la salle de bain.

- Il faut soigner ça.

Je m'assoie sur le bord de la baignoire et le laisse me nettoyer le visage, m'essuyer tant bien que mal le nez qui a fini par s'arrêter de couler et mettre de l'antiseptique sur les plaies. Il ne me demande plus pourquoi j'ai fait ça, il est silencieux. Il me soigne et j'ai l'impression d'être un enfant qui s'est fait un bobo. Sauf que ce n'était pas lui qui me soignait. Pas lui, ni maman.

Je ferme les yeux. Il me tapote l'épaule quand il a fini :

- Ne recommence plus.

Puis il sort de la salle de bain et me laisse seul. Et je suis seul, seul, seul. Terriblement seul. 

Le goût amer du chocolatWhere stories live. Discover now