— Je viens de voir la note du syndic. Tu vas la faire ?

— Oh, moi, tu sais, si j'ai l'occasion de louper une journée de boulot... Et toi ?

Ophélia secoua la tête.

Pas les moyens. Je n'ai pas de Fabien, moi.

Fabien, le mari de Mylène, gagnait correctement sa vie. Ophélia lui avait un jour demandé pourquoi elle se donnait la peine de travailler si son emploi ne l'épanouissait pas tant que ça, ce à quoi Mylène avait répondu qu'elle préférait avoir une solution de secours si jamais, pour une raison ou une autre, elle ne pouvait plus compter sur son époux à l'avenir, et de préférence à un poste où elle aurait à lever le petit doigt le moins possible.

— Bon, je vais à la boulangerie. Si jamais mon téléphone sonne, tu prendras les messages ?

Elle dit ça sur le ton de la blague, parfaitement consciente qu'elle ne recevrait aucun appel. Pourquoi quiconque contacterait une simple assistante ?

Elle revint moins d'une heure plus tard, les bras chargés d'un gros carton de viennoiseries.

— Je peux te débarrasser ? offrit Ravi, l'un des stagiaires, un grand brun dégingandé de vingt ans, le même âge qu'elle.

— Merci, mais ça ne pèse vraiment pas lourd. En revanche, je veux bien que tu m'ouvres la porte de la salle de réunion.

— Avec plaisir.

Ravi poussa le battant de verre et la tint pendant qu'Ophélia pénétrait dans la pièce. Elle posa le carton sur la table ovale et en dévoila le contenu sous le regard gourmand de son collègue.

— Miam miam !

— Pas touche ! le prévint-elle. De toute façon, tu y auras droit tout à l'heure. Tu participes bien au séminaire, toi ?

— Oui, m'dame !

— Il porte sur quoi cette fois ?

— Le graphisme. Comment améliorer la composition d'une image, choisir une police d'écriture adéquate, ce genre de choses... Basique, mais toujours utile.

— Pfff, je tuerais pour pouvoir y assister.

Ravi était une des rares personnes de l'entreprise, avec Mylène, à connaître le talent d'Ophélia pour le dessin.

— En généra,l les intervenants nous envoient leurs PowerPoint, je te les ferai suivre si tu veux.

— Super, j'apprécierais.

— Besoin d'un coup de main pour tout installer ?

— Ça ira, merci.

— Bon, ben on se voit plus tard alors ?

— Ça marche. À plus, Ravi.

Ophélia soupçonnait le jeune homme d'avoir un faible pour elle. À vrai dire, il ne s'en cachait pas particulièrement et guettait la moindre occasion de passer du temps avec elle. Elle aussi en pinçait pour lui, or elle était trop timide pour faire le premier pas. Manifestement, il en allait de même pour Ravi, et Mylène tenait en secret des paris quant au moment où les deux tourtereaux se décideraient à se déclarer leur flamme.

— Tu aurais pu le laisser t'aider, ça lui aurait fait tellement plaisir, dit cette dernière en sortant le rétroprojecteur de l'armoire.

— Je suis capable de me débrouiller toute seule. Et si jamais le patron le trouvait ici au lieu de faire son boulot, il risque de ne pas le voir d'un très bon œil.

— Si tu le dis.

En raison du séminaire, la journée d'Ophélia fut moins chargée que d'habitude. En tout cas, la jeune fille fut moins sollicitée, à part pour apporter les cafés lors de la pause et photocopier des documents. Elle en profita pour peaufiner quelques dessins qu'elle gardait dans le tiroir de son bureau, en prévision du jour – hypothétique – où elle aurait enfin l'occasion ou le courage de les proposer à son patron. Elle fit également sur internet les recherches qu'elle n'aurait pas le temps d'effectuer à la bibliothèque, et à dix-huit heures, une fois la salle de conférence rangée et ses papiers en ordre, elle put enfin rentrer chez elle.

Elle se doucha, remplit la gamelle de Marcel, puis dîna sur le pouce devant la télévision et se coucha tôt, étant donné qu'elle devrait se relever pour se rendre en Onirie. Elle prit soin de poser le médaillon sur sa table de chevet, histoire que le poisson-perroquet ne se retrouve pas coincé dans le tiroir, et éteignit la lumière.

Il lui semblait qu'elle venait à peine de s'assoupir quand elle sentit des coups de bec sur son bras.

— Mmmm... Laisse-moi dormir, Ziggy, marmonna-t-elle.

— C'est l'heure, patronne, « La Voie » est à quai.

— Il est déjà minuit ?

— Passé de cinq minutes, même. Habille-toi vite !

Ses vêtements sur le dos, Ophélia se lança à toute vitesse vers le port sur sa bicyclette. Cette fois, elle parvint à ouvrir le vortex sans le concours de son compagnon. Son arrivée en Onirie provoqua chez elle autant d'émerveillement que la veille, et elle prit son temps pour admirer le décor, avant de se diriger vers son vaisseau. Son vaisseau ! Elle peinait encore à s'en convaincre.

Capitaine des RêvesWhere stories live. Discover now