Tonneau haussa les épaules.

— Les gars ! cria-t-il. Ramenez vos fesses par ici !

Des hommes de tous âges et toutes carrures apparurent des quatre coins du navire et s'alignèrent en rang impeccable sur le pont.

— Les gars, tout d'abord me v'là porteur d'une bien triste nouvelle, annonça-t-il en triturant son bonnet entre ses mains. Alrisha a cassé sa pipe...

Un murmure, où la surprise se mélangeait à la consternation, parcourut l'équipage. Tonneau réclama le retour au calme pour imposer une minute de silence à la mémoire du Capitaine d'Aisling. L'un après l'autre, les hommes inclinèrent la tête pour se recueillir.

Quand la minute symbolique se fut écoulée, Tonneau reprit la parole.

— Fidèle à lui-même, Al ne nous a pas quittés sans nous faire une dernière blague. Voici la personne qu'il a choisie pour le remplacer, dit-il en poussant Ophélia devant lui sans ménagement.

— Les gars, je vous présente Fluette.

Zigomar le rappela à l'ordre d'un raclement de gorge.

— Ouais bon, je veux dire la Capitaine Ophélia.

— Une femme Capitaine ? s'offusqua l'équipage.

— Jamais de la vie ! Ça porte malheur !

— Ça m'enchante pas plus que vous, mais le vieil Al l'a désignée en tant que successeur, alors pas le choix, faudra faire avec.

À l'intérieur, Ophélia bouillait de rage. Elle était leur Capitaine, bon sang ! Avec une majuscule, Alrisha avait bien insisté là-dessus ! Pourquoi ses hommes ne lui montraient-ils pas davantage de respect ? Elle regrettait presque d'avoir laissé Zigomar l'embarquer là-dedans.

— Ziggy veut qu'je fasse les présentations, reprit Tonneau, alors avancez d'un pas quand vous entendrez vot' nom. Fluette, voilà Marmite, le maître-coq. C'est lui qui fait la tambouille, précisa-t-il.

— Oui, je sais ce qu'est un maître-coq, merci, fit sèchement Ophélia.

Son côté réservé lui donnait souvent un air un tantinet pète-sec, à son désarroi. Cette fois en revanche, ce défaut tournait à son avantage. Elle était bien déterminée à ne pas se laisser prendre de haut, et à défaut d'avoir de l'aplomb, le simuler représentait une alternative acceptable. Ainsi que le disent les Britaniques, fake it until you make it !

Tonneau la dévisagea du coin de l'œil, amusé. En réalité, elle commençait à lui plaire, cette brunette. Pour autant, il n'avait pas l'intention de lui faciliter la tâche, cela ne lui rendrait pas service. Il continua donc les présentations sans relever la remarque d'Ophélia.

— Le p'tit jeune, là, c'est Aiglon, la vigie.

Aiglon souleva brièvement son couvre-chef pour saluer la demoiselle, avant de s'essuyer le nez du dos de la main. Il ne devait pas avoir plus d'une douzaine d'années. Visiblement, les lois d'Onirie n'interdisaient pas le travail des enfants, à moins que le pauvre ne fût orphelin, et sans ressources. Orpheline elle-même, elle sentit d'emblée de l'empathie pour le jeune garçon.

— Voici le maître d'équipage. On l'appelle La Grue à cause de son long nez. Le grand costaud, à côté, c'est Cure-Dent, le timonier. Normalement, c'est lui qui tient la barre, mais le vieil Alrisha aimait bien le faire lui-même de temps en temps. Vous vous accommoderez entre vous.

Cure-Dent n'avait pas un air très engageant au premier abord, néanmoins on sentait qu'il cachait un cœur d'or sous son aspect bourru.

— Ensuite, nous avons Vilebrequin, notre charpentier, et Roupillon, le rebouteux. On n'a pas souvent besoin de lui alors la plupart du temps vous le trouverez en train de piquer un somme dans sa cabine.

Capitaine des RêvesWhere stories live. Discover now