Capitaine des Rêves

Chapitre 2

« La Voie des Anges » accosta et jeta l'ancre. Une passerelle se déploya entre le pont et l'embarcadère, et un homme se pencha au bastingage.

— Ah, vous v'là enfin, Capitaine ! On a failli attendre ! Eh, mais c'est pas le Capitaine Al. Qu'est-ce qu'elle fiche ici, cette gamine ?

— Cette gamine, comme tu dis mon cher Tonneau, c'est la nouvelle patronne, expliqua Zigomar en escortant Ophélia à bord.

— Tu veux dire que...

— Hélas, oui, j'en ai bien peur, fit le poisson-perroquet en secouant la tête.

— Attends, il faut que j'm'asseye une minute.

Le dénommé Tonneau laissa choir son large postérieur à même le pont et se défit du bonnet qui recouvrait son crâne dégarni.

— Pauv' vieux Capitaine... Il va nous manquer, le bougre...

L'homme écrasa une larme dans sa manche, Ophélia l'observa, en retrait. Zigomar l'incita à s'avancer.

— Et voici donc Ophélia Dessanges, notre nouvelle Capitaine. Je te prie de lui réserver le meilleur accueil.

Tonneau releva le nez, reluqua la demoiselle de bas en haut et s'esclaffa, malgré ses yeux encore humides.

— Hum, bonjour ? fit-elle d'une voix que la timidité rendait éraillée.

— Ophélia, hein ? J'trouve que Fluette lui convient beaucoup mieux.

La jeune fille superposa les pans de sa veste devant sa poitrine dans une vaine tentative d'étoffer sa silhouette. Malgré tout, elle dépassait à peine le mètre cinquante et les quarante-cinq kilos toute mouillée et ses efforts échouaient à camoufler ses airs d'oisillon tombé du nid.

— Tonneau ! Soyez gentil avec elle ! le morigéna le poisson-perroquet.

— Bah, c'est pas méchant, c'est juste un constat. Pis il lui faut bien un sobriquet, la tradition de « La Voie » l'exige.

— Excepté pour le Capitaine.

— Mouais, elle devra d'abord faire ses preuves avant que j'daigne considérer c'te gringalette comme mon chef.

Piquée au vif, Ophélia rétorqua, rougissant déjà de son impertinence :

— En tout cas, en ce qui vous concerne, pas besoin de demander d'où vient votre propre surnom, Tonneau !

Elle se mordit aussitôt la langue pour cette indélicatesse dont elle n'était pas coutumière. En effet, l'intéressé affichait un tour de taille pour le moins impressionnant, et lui aussi avait critiqué son physique, or rien ne justifiait qu'elle le dénigre à son tour.

L'homme se renfrogna.

— Regardez-moi ça, c'est qu'elle mordrait cette miniature ! T'as de la chance d'être une fille, sinon j't'aurais bien mis mon poing dans la figure !

Ophélia déglutit sous la menace, mais songea, si elle voulait se faire respecter, qu'il valait mieux éviter d'afficher son manque d'assurance.

— Sachez ma p'tite dame que j'ai pas honte de ma bedaine, la preuve j'ai personnellement choisi mon sobriquet. Pour autant, j'laisserais pas n'importe l'utiliser, surtout si c'est pour m'insulter !

Zigomar s'interposa entre eux, les rémiges plaquées sur le torse du marin.

— Baisse le ton, Tonneau. Ophélia est désolée, n'est-ce pas ?

La jeune fille hocha la tête et lui fit des excuses sincères.

— Bien. Maintenant, présente-lui le reste de l'équipage, au lieu de jouer au dur.