L'installation d'Elle

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11h15

Je regarde l'heure sur ma montre. Je ferme les yeux, souffle longuement. Le tic tac indiquant les secondes résonne dans ma tête. Je me concentre sur leur bruit, leur rythme, qui est encore plus rapide que mon propre rythme cardiaque. Si je continue comme ça, je n'en aurait probablement plus du tout. Plus que 45 minutes, et mon pire cauchemar commencera. Ne pas y penser, faire abstraction, c'est tout ce que je demande. Seulement, si c'était si facile de lutter contre son pire cauchemar, cela se saurait. Les enfants dormiraient tous merveilleusement bien, et les attrape-rêve n'existeraient même pas. Mais personne n'a encore trouvé comment gagner ce combat, alors pour l'instant les minutes passent, et je devrais affronter ce moment. Je ne sais même pas ce qui est le plus dur ; si c'est de devoir vivre avec cette boule au ventre, ce stress permanent avant chaque repas. Papa me disait souvent que c'était normal d'avoir du stress, que c'était même bon, et que c'était ce qui conduit à la réussite. Je ne pense pas qu'il pensait à ma situation actuelle quand il m'a tenu ces propos. Ou bien si c'est d'être incompris par les autres, de se sentir étranger à sa propre famille. Avoir des troubles du comportement alimentaire est une chose, être la première mais aussi la seule de la famille en est une autre. Avez-vous déjà essayé de comprendre quelque chose dont vous êtes extérieur ? Je crois qu'il n'y a rien de plus complexe. Vous voyez des gens souffrir, mais sans comprendre pourquoi. Vous cherchez cette faille qui les font agir de telle ou telle façon. Mais parfois, cette faille est si bien enfouie que même en étant des mieux équipé, vous ne trouvez rien. Certaines personnes ont des phobies. Les clowns, le noir, les araignées, et bien d'autres encore. Toutes sont très personnelles, il n'y en a pas des plus rationnelles que d'autres. Elles sont présentes en chacun de nous, on ne peut les contrôler, c'est comme ça. Nous avons tous le droit d'avoir nos propres peurs, et je pense que nous avons chacun nos raisons. Et pourtant, je n'accepte pas ma peur à moi. Tout simplement parce que cette peur là ne devrait pas exister, il ne devrait même pas être possible de la ressentir, pas à cet égard là. Parce qu'avoir la phobie des araignées, c'est compréhensible; c'est vrai, une grande majorité d'entre elles sont mortelles. En un peu moins d'un dixième de secondes, et vous vous retrouvez avec du poison dans le sang. À cause d'un petit être vivant que l'on peut faire disparaître de la surface du globe seulement en refermant les mains. Mais manger, la nourriture, cela ne peut être mortel pour vous. Bien au contraire, c'est vital. J'aimerais alors comprendre comment est-ce humainement possible de développer une telle crainte face à quelque chose d'aussi essentiel qu'est se nourrir. Le corps humain est bien fait à ce que l'on dit. Permettez moi d'en douter. Peut-être est-ce la vérité, peut-être que c'est moi qui me trompe. Mais dans une situation pareille à la mienne, il est dur de se dire que le corps humain est bien fait. Pas quand vous vous laissez aller à la dénutrition. Si le corps est si bien fait que cela, pourquoi ne crée t-il pas une armure, une couche de vie impossible à perdre ? Ainsi,les gens ne se tueraient pas à vouloir maigrir jusqu'à une limite non atteignable. Une impossibilité de maigrir au-delà d'un poids que l'on appellerait le «minimum vital». Peut-être qu'au siècle prochain, grâce aux progrès de la médecine, ce Minimum Vital aura sa propre page entière dans la grande imagerie de la médecine, qui sait ? Cela éradiquerait déjà une maladie, une de moins sur Terre. Non, il faut quand bien même que j'admette le fait que le corps humain est bien fait. Je pense sinon, que je ne serais malheureusement plus là depuis longtemps. Et plus j'y pense, plus je trouve tout cela horrible. J'en arrive même à éprouver de la haine, moi qui suis remplie de douceur et de gentillesse. Seulement j'en arrive à un point où j'ai cette impression de non-retour qui refuse de  me quitter. Combien de temps encore va-t-elle continuer de me hanter, de me gâcher l'existence ainsi que celle de mes proches ? Je me demande même qui a eut cet humanisme de lui attribuer un nom. Avoir un nom, cela signifie vivre, être quelqu'un, avoir une identité. Or elle n'a pas tout ça. Elle préfère prendre ceux des autres. Mais je ne veux pas simplement fermer les yeux sur la maladie. Je ne veux pas la garder, même si j'arrive à la faire taire (ce qui me permettrait de remanger normalement) car je sais qu'elle serait toujours présente, et qu'au moindre faux-pas, ressortirait, avec le risque de causer de plus gros dégâts que les premières fois. Non. Je refuse. Je veux me battre contre elle, la gagner. Monter sur le ring et la mettre KO, l'éradiquer pour toujours de ma vie. Je veux qu'elle disparaisse.  

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