CHAPITRE 6

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Mon réveil. Mon réveil insupportable que j'ai toujours envie de jeter contre le mur. Mon oreiller, que je colle sur ma tête pour étouffer le bruit. Je n'ai aucune envie de me lever. Mais...me lever. De mon lit ? Comment...comment je suis...arrivée dans mon lit ? Je me redresse en panique en scrutant la pièce. Je suis bien dans ma chambre. Ma nouvelle chambre. Dans ma robe noire. Je saute du lit plus que réveillée, pour descendre les escaliers à la vitesse grand V. Mes parents sont dans la salle à manger, ils dégustent leur petit-déjeuner, comme si tout était normal. Ils m'ont vue rentrer hier soir ? Ma mère me sourit de toutes ses dents en levant la tête vers moi.

- Alors ma chérie, tu t'es bien amusée hier soir ?
- Je...oui. Mais...

Est-ce que je devrais vraiment leur demander comment je suis rentrée ? Et s'ils ne le savaient pas ? Et si leur dire que j'ignore totalement comment j'ai fait pour passer d'une salle de bains, à mon lit les inquiétait plus qu'autre chose ? Heureusement, ma mère répond à mes questions avant même que j'ai à les poser.

- Reed est vraiment génial. Tu t'étais endormie dans la voiture alors il t'a portée jusqu'à ta chambre.

Il m'a portée ? Il est entré dans ma chambre ?! Je me sens tellement bête de m'être endormie.

- Tu devrais aller te préparer non ? me rappelle mon père, qui de toute évidence n'a aucune envie de parler de ce jeune voisin si génial. Je t'emmène au lycée aujourd'hui.

N'importe qui serait heureux de savoir qu'il n'aura pas à prendre un bus scolaire miteux, où les élèves se transforment en vraies bêtes sauvages. Mais moi j'ai toujours aimé prendre le bus, la plupart du temps c'est le seul moment de la journée où je peux voir un beau paysage défiler devant moi, avec de la bonne musique dans les oreilles, sans avoir à parler avec quelqu'un pour être polie. Les trajets sont faits pour être appréciés. Selon moi en tout cas. D'ordinaire j'aurais refusé, mais c'est mon premier jour, je préfère me repérer en voiture avant pour ne pas me perdre après. Et puis je pourrai toujours faire le trajet du retour en bus.

- D'accord je vais prendre une douche, gardez-moi du café.

Je vais en avoir besoin, je suis toujours fatiguée sans savoir pourquoi, puisqu'à ce qu'on m'a dit j'ai très bien dormi. C'est vrai que c'était gentil de la part de Reed de me ramener chez moi en me portant, mais il aurait dû me réveiller. Il aurait dû ! Je suis certaine qu'il a trouvé ça jouissif de se comporter comme le parfait petit chevalier servant attentionné auprès de ma mère. Elle n'en est que plus folle de lui maintenant, je vais avoir du mal à l'éviter si elle s'y met. Mais je n'ai pas à me préoccuper de ça pour le moment. Tout ce à quoi je dois penser, c'est la rentrée. La pré-rentrée en fait, ce qui veut dire que je ne serai au lycée qu'une demi-journée, mais c'est quand même énorme pour un nouveau lycée. C'est intimidant. Et ça le devient encore plus quand en sortant de la voiture de mon père, je sens tous les regards posés sur moi. Je suis la petite nouvelle, c'est normal. Bientôt ils oublieront mon existence, il faut juste du temps. Je marche directement jusqu'au secrétariat que je parviens à trouver grâce à un plan que j'ai trouvé sur internet. Sur mon chemin, je ne suis pas surprise de voir des couples partout. Vraiment partout. C'est une véritable invasion. Je n'ai rien contre les gens amoureux, j'ai décidé que ce n'était pas fait pour moi, ça ne veut pas dire que les autres n'ont pas le droit de l'être. Je pense juste que tout le monde n'a pas besoin de voir un roulage de pelle durer une heure sur les tables du lycée. Sérieux, les gens qui font ça pensent quoi ? Qu'ils gagneront une médaille ? Qu'ils impressionnent tout le monde ? Beurk ! Je suis bien heureuse quand j'arrive enfin au secrétariat. Ici au moins, aucun risque de voir un roulage de pelle intensément long. Par contre, et ce n'est presque pas mieux, j'ai droit à toute la paperasse et à une petite discussion de motivation avec la CPE, dont les cheveux gris et les petites lunettes ovales me font penser à la limace dans Monstre et Cie. La sonnerie, identique à celle que l'on entend dans les aéroports ou dans les supermarchés avant une annonce, se met à retentir quand je sors de son bureau, me laissant seulement quelques minutes pour trouver ma salle. B205...où est la salle B205. Là ! J'entre à toute vitesse, croisant le regard de plusieurs étrangers qui me fixent comme si j'étais de la viande fraîche. Je vais m'installer au fond de la salle, là où personne ne peut me voir, en priant pour que le temps s'accélère. Et enfin, après de longues explications sur l'année de Terminale, la lecture entière du règlement intérieur, et tout ce qui accompagne cet enfer, je peux enfin souffler en sortant du lycée. Ce n'était pas si terrible que ça, le seul problème c'est que je n'ai adressé la parole à personne. J'aurais dû me douter que me faire de nouveaux amis ne seraient pas aussi simple. Je ferai sûrement mieux demain. Je monte dans le bus numéro 24 qui est supposé me conduire près de chez moi, je profite des dix minutes de trajet que j'ai pour redécouvrir le paysage que j'avais pu vaguement apercevoir ce matin dans la voiture, et enfin je descends à mon arrêt, qui par le plus grand des hasards, est le dernier. Il suffit que je repère l'endroit où le bus se vide entièrement pour descendre. Je marche pendant quelques secondes, entourée par quelques élèves, qui finissent par se disperser à chaque coin de rue. Je me retrouve seule. Sous le soleil de midi. Et je suis soulagée, quand je vois enfin ma maison apparaître devant moi. On dirait bien que je ne me suis pas perdue. Quelqu'un se met à siffler de l'autre côté de la rue. Assez fort pour qu'on l'entende à deux pâtés de maisons je pense. Je ne suis pas surprise de voir Reed me faire signe. Assis sur les marches des escaliers devant sa maison, une cigarette à la main. C'est la première fois que je le vois en tenir une. La première fois que je le vois, vraiment, en tenir une. Ça fait bizarre. Pendant une seconde je suis tentée de l'ignorer et d'entrer chez moi, mais je sais qu'il ne lâchera pas l'affaire si je fais semblant de ne pas l'avoir vu. Il serait encore capable de me harceler de messages et d'appels. Ou de venir directement chez moi. Malgré moi, je décide d'aller le rejoindre. Son sourire ne fait que s'agrandir à mesure que j'avance, et je finis par m'installer à côté de lui sur la même marche. Je scrute les environs, cherchant à savoir ce qu'il trouve d'intéressant à rester ici. Mais je ne vois rien d'autre qu'une vieille dame arroser son jardin, et des maisons à perte de vue.

Salut Voisine !Where stories live. Discover now