— Très bien.

Roméo ne se laisse pas démonter et s'assoit sur la chaise à côté de moi avant que j'aie le temps de faire quoi que ce soit.

— Tu veux ma viande ? me propose-t-il en voyant que je n'ai que des légumes dans mon assiette.

— À ton avis, si je picore uniquement des haricots, c'est pour quelle raison ? Je suis végétarienne.

Son poing se resserre autour de sa fourchette, mais il ne rétorque pas. Je ne comprends pas très bien pourquoi il s'obstine à venir me parler. Je le sens fulminer à chacune de mes railleries. À moins qu'il ne soit sadomaso et qu'il aime se faire rembarrer. C'est la seule explication qui me vienne à l'esprit.

— Je me demandais, reprend-il, étant donné que j'ai raté quatre semaines de cours, est-ce que tu pourrais m'aider à rattraper ? Je t'en serais vraiment reconnaissant.

— Est-ce que j'ai vraiment la tête...

— D'une putain de prof particulier? complète-t-il. Non. Tu as du répondant, c'est indéniable. Mais il est assez redondant et à force tes piques n'ont plus aucun effet.

Je me retrouve encore une fois bouche bée, et je n'aime pas du tout ça. Ce type a le don de me clouer le bec et même si ça n'arrive qu'une fois sur dix, je ne vais pas le tolérer longtemps.

Pour une fois, je décide de laisser mes sarcasmes de côté et d'être honnête, parce que ce garçon soulève bien trop d'interrogations dans mon esprit.

— Pourquoi tu persistes alors que je t'envoie balader ? C'est quoi ton but ?

Roméo prend son temps pour s'essuyer la bouche, ce qui accentue mon agacement, puis il dépose sa serviette sur son plateau et se tourne vers moi. Il appuie son coude sur le dossier de ma chaise et cette soudaine proximité entre nos deux visages me décontenance un peu.

— Tu m'amuses, Héloïse. Je t'aime bien.

J'arque un sourcil.

— Tu m'aimes bien ?

— C'est si dur à croire ?

— Tu ne me connais pas.

Le côté droit de sa bouche frémit, laissant apparaître une fossette.

— Raison de plus pour partager ce déjeuner.

Il s'écarte de moi et se remet à manger. Pour la première fois depuis longtemps, le comportement de quelqu'un me laisse perplexe. Cerner les gens est un talent chez moi, mais Roméo commence à me faire douter. Force est de constater qu'il est plutôt doué pour me défier.

Je réalise alors que de nombreuses personnes nous lancent des regards curieux. Roméo ne semble pas le remarquer. Ce mec est en train de réduire à néant mes efforts pour être invisible. Je refuse d'attirer l'attention comme l'année dernière. Roméo doit déjà être l'objet de convoitise de beaucoup de filles et j'ai déjà assez donné dans les querelles féminines.

Je suis sur le point de me lever quand la vue d'un groupe de filles me coupe dans mon élan. Lina est plantée à deux mètres de ma table et ses yeux passent de Roméo à moi avec interrogation. Carla, juste derrière elle, a les sourcils froncés et me transperce de ses iris gris. J'entends ses pensées d'ici : « Que fait le nouveau canon avec la traînée de service ? » Cassandre et Alice complètent le tableau, affichant approximativement la même expression que Carla.

— Salut, Héloïse, lance Lina sur un ton de reproche.

Je me contente de trier mes haricots sans lui jeter un coup d'œil.

— Alors, le nouveau est admis à ta table ? Qu'est-ce qui lui donne ce privilège ?

Le ton venimeux de mon ancienne meilleure amie me fait lever les yeux au ciel.

— Il s'est incrusté.

Je sens le regard incrédule de Roméo sur moi mais je fais abstraction. Il est hors de question que je lui dévoile quelque chose à propos de mon amitié avec Lina, qui s'est éteinte il y a peu.

— Incrusté ? Et tu ne l'as pas jeté, lui ? insiste-t-elle.

Je relève la tête.

— C'est bon, Lina. Tu crois vraiment que j'ai choisi de déjeuner avec cette imitation de Ken qui est persuadé d'être irrésistible alors qu'il a l'attitude d'un guignol ? Il est aussi barbant qu'une bande de midinettes.

Ma gorge se serre, et je voudrais ravaler mes paroles en voyant la mine déconfite de Lina. Mon but n'a jamais été de la blesser, elle ou n'importe qui d'autre, mais j'ai tendance à me laisser emporter par la colère qui sommeille en moi.

— Alors c'est ce que je suis à tes yeux maintenant ? Une midinette ?

Je ne réponds rien, de peur d'aggraver les choses. Lina n'est certainement pas une midinette, elle est la fille la plus intelligente et la moins naïve que je connaisse. Ce sont d'ailleurs ces qualités qui font que j'ai du mal à faire taire notre amitié. Mais si je lui dis ça, je lui ouvre une porte par laquelle elle pourrait se faufiler en moi et déceler mon nouveau fonctionnement. Et si elle parvient à le comprendre, je suis foutue.

Agacée par mon mutisme, Lina finit par lâcher :

— Dans ce cas, bon appétit.

Les quatre filles s'en vont, et Carla n'oublie pas de m'adresser un rictus satisfait au passage.

— Je crois que l'imitation de Ken à l'allure de guignol va s'en aller aussi.

La voix de Roméo me rappelle qu'il était là, lui aussi, et qu'il n'a évidemment rien manqué. Son visage s'est fermé et il rassemble ses affaires à la vitesse de la lumière avant de s'en aller, son plateau dans les mains. Quant à moi, je lutte contre la culpabilité qui pointe déjà le bout de son nez.

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HEY !

Premier pdv d'Héloïse ! J'ai adoré écrire avec son sarcasme omniprésent, j'espère que la lecture a été aussi plaisante pour vous.

Et Héloïse, elle vous plaît ? Vous avez l'impression d'arriver à un peu mieux cerner le personnage ?

L'apparition de Victor et Lina ?

Roméo a du pain sur la planche, n'est-ce pas ?

MS sort dans une semaine, déjà ! Je suis à la fois surexcitée et terrifiée.

Plein de bisous,

Laurène

MISSION SÉDUCTION - PREQUEL + PREMIERS CHAPITRESWhere stories live. Discover now