Les gens comme nous

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« Ton homme t'a laissée toute seule ? C'est pas très prudent de sa part... murmure-t-il. »

Je voudrais pouvoir répondre que je ne dépends pas de lui et que je peux me débrouiller seule. Je ne suis plus une enfant. J'aimerais vraiment être capable d'être courageuse. Mais c'est plus difficile de faire la fière avec une flingue contre la tempe. Très lentement, Julio se met à avancer contre moi. Mon cerveau me hurle de ne pas le laisser faire, de ne surtout pas le laisser rentrer dans la chambre, mais mon corps ne l'écoute pas et je recule pour l'empêcher de me toucher. La porte se referme dans un silence absolu, seulement rythmé par ma respiration haletante. Je suis définitivement et irrémédiablement foutue. Comment peut-il être là, dans ma chambre, alors qu'il a été arrêté ? Est-ce que ce type obéit aux lois de la physique ? Plus je le côtoie et plus j'ai l'impression d'avoir affaire à une sorte de monstre cauchemardesque changeant sans arrêt de forme pour venir me hanter. A force de reculer, je finis par buter contre le mur et je m'y écrase comme si j'espérais m'y fondre pour m'échapper. Julio avance encore, collant son corps au mien. Une violente nausée m'envahit. Je préférerais mourir que de sentir encore son odeur contre moi. Rassemblant mes forces, je parviens à marmonner :

« Lâche-moi.

-Allons, crevette, c'est pas comme ça qu'on salue un vieil ami.

-On est pas amis. »

Je le hais.

Il a assassiné Diego. Tout ce qu'il a fait avant paraît faible en comparaison et pourtant je sais qu'il n'a cessé d'agir comme un monstre. Mais le pire c'est qu'à cause de lui, mon ami est mort. Cette pensée ravive ma fureur et je sens la colère prendre le pas sur la peur. Je pose mes mains sur ses épaules pour le pousser violemment. Surpris, il recule de quelques pas mais il continue de pointer son arme sur moi. Le canon du flingue ressemble à la bouche noire d'un monstre prêt à me dévorer. Julio me jette un regard ennuyé.

« Tu m'en veux pour ce qu'il s'est passé à l'aéroport ? »

C'est probablement ce que la logique la plus élémentaire exigerait. Il a essayé de me faire mourir. Mais j'ai survécu, alors que Diego n'est plus là, et c'est ça que je ne peux pas supporter. Les dents serrées, je grince :

« T'as tué Diego. »

Il hausse les épaules d'un air de dire qu'il n'y peut rien, comme si les événements l'avaient forcé à agir de la sorte. Mais nous savons tout les deux que c'est faux.

« Tu devrais me remercier. J'aurais pu le tuer bien avant. »

C'est vrai. Il a déjà eu Diego à sa merci mais il l'a épargné. Et si ma mémoire est bonne, c'est parce que mon ami lui a confié un secret, quelque chose que personne ne sait. Pendant un instant, j'envisage de demander ce qu'était cette information si importante mais finalement, je crois que je préfère ne pas savoir. C'était quelque chose que Diego ne m'a pas dit de son vivant, je ne tiens pas à l'apprendre maintenant qu'il est mort. Julio penche la tête sur le côté en me regardant avec une certaine émotion.

« Toi aussi, d'ailleurs, ajoute-t-il. »

Il approche d'un pas alors que je me colle un peu plus au mur.

« J'aurais dû...chuchote-t-il, j'aurais dû te tuer bien avant. J'aurais dû te tuer le jour où je t'ai vue pour la première fois quand tu sortais de chez Daryl. Je n'avais aucune idée de qui tu étais. Et puis en entrant chez Daryl, j'ai trouvé son téléphone, et vos messages dedans. Et tu m'as fait rire. »

J'ai l'impression que sa main qui tient l'arme tremble un peu et c'est très mauvais signe pour moi. Le coup pourrait partir à tout moment. J'essaie de glisser contre le mur pour me mettre hors d'atteinte, écoutant à peine ce qu'il me dit. Il secoue la tête en lâchant un petit rire.

« Est-ce que tu sais depuis combien de temps plus personne ne me fait rire ? »

Je me contente de faire non de la tête avant de jeter un coup d'œil vers la porte de la salle de bain, à quelques mètres de moi. Si je pouvais m'enfermer dedans...non, c'est dangereux, il pourrait enfoncer la porte. Ma seule chance, c'est de gagner du temps et espérer un miracle.

« Pourquoi personne ne te fait rire ? demandé-je un peu au hasard. »

Il hausse les épaules pour dire qu'il n'en sait rien.

« Les gens...m'ennuient. Ils sont égoïstes, étroits d'esprit et lâches. Ils ne comprennent pas ce que vivent les gens comme nous.

-Les gens comme nous ? »

Est-ce que ce salaud vient de me mettre dans la même catégorie que lui ?

« Oui. Les gens...qui ne savent pas vivre. Les gens cassés. Ceux qui préfèrent dormir plutôt qu'être éveillés. »

Je ne suis pas sûre de comprendre. Ou plutôt, je ne suis pas sûre de le vouloir. Est-ce qu'il parle...des gens atteints de dépression ? Ou bien les victimes de viol ? Rentre-t-il dans une de ces catégories ? Je baisse les yeux.

« Je comprends pas.

-Si. Tu comprends, Axelle, soupire-t-il avant d'avancer vers moi pour me forcer à le regarder. »

Puis il ajoute :

« T'es la seule à comprendre. »

Oui, je le comprends. Je comprends cette douleur dans son esprit, cette détresse dans son regard. Je le comprends parce que je connais ce sentiment mieux que personne. Et malgré toute ma haine envers Julio, je ne peux m'empêcher les larmes de me monter aux yeux lorsque je demande :

« Qui t'a fait ça ? »

Il ne répond pas. Mais ses yeux...ses yeux sont comme des cris de douleur que moi seule peut entendre. J'ajoute d'une voix quasi-inaudible :

« Qui t'a violé ? »

Il baisse les yeux, sentant la honte le traverser comme une épée fichée dans son cœur. Puis il répond tout bas :

« Ma mère. »

Enfin, la nouvelle partie! Encore désolée pour ce retard :/

Le chapitre suivant sortira mercredi!

Merci à  carmen01928, cocassocta, Linalilylilili, BenedicteAudreyLouis, nomael et Throughtthewords pour leurs votes :D

Fire & Gasoline - Tome 2 [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant