Les cinq coups

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Quelques jours plus tard, le Père Hamel la fit appeler au confessionnal.

- Cela n'a pas été de tout repos, vu mon grand âge, mais ça y est. Je l'ai!

-Je veux le voir.

Il parut soudain hésitant.

- Pour la dernière fois. Je vous en prie.

Le Père Hamel fouilla dans l'une des poches de sa soutane et sortit le diamant. Elle ne put s'empêcher de coller son visage contre la grille.

Le "Lesedi La Rona" scintillait de mille éclats.

Le "Lesedi La Rona" scintillait de mille éclats

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- Maintenant, écoutez-moi attentivement. Nous n'aurons qu'une seule chance de réussir. Si vous n'appliquez pas mes consignes à la lettre, vous échouerez. Et vous ne me reverrez plus.

Ni moi, ni le "Lesedi".  Est-ce bien clair?

- Je vous écoute.

- Vous allez être placée en cellule individuelle. Il n'est pas rare qu'une détenue décède dans la prison. C'est alors moi qui suis chargé des funérailles.

Chaque décès est annoncé par cinq coups de cloches. Il vous faudra tendre l'oreille, car mes bras ne sont plus aussi puissants qu'autrefois. Tirer sur cette maudite corde me coûte beaucoup d'efforts. Comme vous l'avez sans doute constaté, un cercueil trône en permanence dans cette modeste chapelle. Prêt à toute éventualité. Il est suffisamment grand pour y loger deux corps.

Au cinquième coup de cloche, la serrure de votre cellule sera ouverte. Il vous faudra courir jusqu'ici. Notre maison du Seigneur reste toujours libre d'accès. Vous vous glisserez dans le cercueil. Il y aura déjà le corps de la malheureuse. Refermez soigneusement le haut du cercueil, et ne bougez plus.

Je me charge du reste.

- Vous m'effrayez, Mon Père. Que se passera-t-il ensuite?

- Vous sortirez de prison, sans que personne ne se doute de quelque chose. J'avoue que le corbillard n'est pas très confortable, et les routes sont en mauvais état jusqu'au cimetière.Il faudra être forte.

- Je le serai.

- Ensuite, on vous enterrera six pied sous terre. Ne paniquez pas, mon enfant. Pensez  à vous, et à votre liberté future. Elle est à ce prix.

- Je ferai selon votre volonté.

- Et surtout ayez confiance en moi. Je serai là. Tout au plus, ce n'est qu'un mauvais moment à passer.

Le soir même, je viendrai vous déterrer. La terre sera encore meuble, j'y arriverai. N'ayez crainte. Ensuite, vous partirez pour Rome, une voiture vous attendra. Des hommes du cardinal Bollerini vous feront embarquer à Civitavecchia pour Buenos Aires, puis, de là, vous rejoindrez le Paraguay par bus, en direction de San Lorenzo, à la frontière brésilienne.

Une vie nouvelle s'offrira à vous. Ce sera toujours mieux que de croupir dans ce trou.

- Je vous remercie par avance, Mon Père.

- Surtout, tendez bien l'oreille. Cinq coups. Cinq coups de cloches.






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" j'ai fait comme il me l'avait demandé. J'ai tendu l'oreille plus loin que de raison. Scrutant le moindre bruit dans la solitude nue de ma cellule.

J'ai attendu dix jours ainsi, à espérer la mort d'une de mes soeurs d'infortune. Et un soir de pluie, un tintement lointain me parvint.

Cinq coups, qui frappaient chacun ma liberté retrouvée. Au même instant, un bruit sec dans la serrure. J'ai su que la chance venait de tourner.

J'ai couru jusqu'à la petite chapelle, sans rencontrer âme qui vive.

Le cercueil de chêne trônait en son centre. Seuls deux cierges illuminaient la pièce. J'avais du mal à le distinguer.  J'ai ouvert le couvercle à tâtons, le coeur battant. Je me suis glissée à l'intérieur. Un corps encore chaud m'obligea à me contorsionner afin de refermer convenablement le haut.

J'étais terrorisée à l'idée d'être enfermée avec un cadavre, mais mon désir de liberté s'avérait bien plus fort que ma révulsion.

Et puis le Père Hamel m'avait dit d'avoir confiance. Qu'il s'occuperait de tout.

Il m'a semblé entendre sa voix, étouffée par la paroi capitonnée. Puis, j'ai senti que le cercueil tanguait. On me transportait jusqu'au corbillard.

La route jusqu'au cimetière fût un cauchemar. J'étais secouée dans tous les sens. Le corps à coté de moi menaçait de m'étouffer à chaque nid de poules. Je faillis crier plus d'une fois.

Mais le plus dur, fût, cependant, de me sentir descendre en terre, lestée par un cordage incertain. Après une descente qui me parût interminable, j'atterris rudement sur le fond, et presque aussitôt les première pelletées de terre résonnèrent lugubrement sur le haut du cercueil.

Je fis taire mes angoisses. Bientôt, plus aucun bruit ne me parvint. J'étais enfin hors de cette horrible prison. Cela me donna quelque courage. Je tentai de repousser le corps le plus loin possible de moi.

Il devait être vingt-deux heures. Il ne fallait pas compter revoir mon sauveur avant deux longues heures.

Je pris mon mal en patience. L'air commençait à manquer. Et ce cadavre qui revenait sans cesse m'écraser.

Je sentis une forme compacte dans l'une de ses poches. Pris d'une curiosité malsaine, je me saisis tant bien que mal de l'objet. C'était une boîte d'allumettes. Je la tournai plusieurs fois dans ma main. En craquer une pouvait s'avérer terriblement dangereux. Je risquai de mettre le feu à l'une des parois capitonnées et ainsi tout embraser.

Le temps me parut interminable. Je me posai mille questions. Se pouvait-il qu'il m'aie oublié, ou... trahi? Cette seule pensée me glaça le sang. Je tentai de me raisonner.

Attendre, toujours attendre... Je commençai à devenir folle. De guerre lasse, je finis par ouvrir la boîte, en sortir une allumette, et la presser contre le grattoir.

Une faible lueur éclaira l'intérieur du cercueil. Je tournai mon regard vers ce corps allongé  à quelques centimètres du mien.

Et là, je vis ce faciès en suspens, ce nez avec ses rondeurs poupines, l'étroitesse de sa bouche. Et ses yeux. Ses grands yeux clairs, ouverts pour l'éternité.

Je le vis...

Là, près de moi...

Le Père Hamel.







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LE DINERWhere stories live. Discover now