La mère DUBICON

16 2 4
                                    



Madame Dubicon était confortablement installée dans le salon, près de la fenêtre donnant sur la rue. Une aiguille à tricoter dans chaque main.


Après une heure de chauffage cérébral à fixer les deux pelotes de laine, le père Dubicon se leva du canapé et se dirigea vers les toilettes.

Là, au moins, il serait tranquille. Elle ne viendrait pas fourrer son nez dans ses affaires.

Il s'assit sur la cuvette, sortit le magazine ainsi que le bocal, et entreprit de se mettre au travail.

ça ne devrait pas poser trop de problème. Monsieur Dubicon était un manuel.



Il s'activa d'abord avec sa main droite. Sa préférée. Celle qui, jusqu'à présent, ne l'avait jamais déçue. 

Rien!  Nenni!!  Que dalle!!!!   Il en fût très étonné, mais ne perdit pas espoir. Il tenta avec la main gauche. Aucun résultat. Elle non plus, ne s'était pas montrée à la hauteur.

Après trente minutes d'un labeur intense et harassant, il capitula. Il ne lui restait plus que la Marie.


Durant tout le repas du soir il bougonna. Comme à son habitude.



Le soir venu, ils se retrouvèrent dans le grand lit froid, tous les deux bien calés, un oreiller derrière le dos.

Chacun un livre en main. Elle: " Critique de la raison pure",  dans la collection  ARLEQUIN. Lui:   "PlayBoy",  dans la collection  COQUIN.


Au bout de trente minutes, elle s'adressa enfin à lui, sans quitter son livre des yeux.

- Tu lis quoi?

- Un précis de médecine. C'est le docteur qui me l'a donné.

- Et tu comprends quelque chose?

- Pas tout. Heureusement, y a beaucoup d'images.

A cet instant précis, il humecte son index pour séparer deux feuilles collées entre elles par une large tâche blanche.

- Foutues pages! On voit bien que c'est un document d'époque. Même le goût est particulier. Un peu comme du sel.


Nouveau blanc. Enfin, nouveau silence.

Trente minutes plus tard.


- Et ça parle de quoi?

- De pêche en haute mer.

- Alors c'est normal que ça ait un goût salè. 


Nouveau blanc de trente minutes.


- Et il t'a dit quoi, le docteur?

- Que je devais lui ramener ma semence dans ce flacon. 

Il lui montra l'objet posé sur la table de nuit.

- Et t'as réussi?

- Ben non. Tu vois bien qu'il est vide!


La Marie repose son livre de chevet et se tourne vers lui.

- Tu veux que je t'aide?

Le père Dubicon se redresse (enfin, pas tout), visiblement très intéressé.

- Tu ferais ça pour moi?!

- Bien sûr!

Il lui tend le flacon encore vide... Mais lui, plein d'espérance.

La mère Dubicon, enlève sa nuisette en côte de maille, et, se saisissant du flacon:

- Au travail !  


Aussitôt dit, aussitôt fait. Et la voilà à l'ouvrage. Et que je l'empoigne par la main droite, par la main gauche, par les deux...Pour enfin, s'écrouler sur l'oreiller, épuisée après une demi-heure d'efforts infructueux.

- Je comprends pas, finit-elle par dire.

Il ose alors, timidement, une dernière approche.

- Et si tu essayais avec la bouche?

- Tu n'y penses pas, je vais m'y casser les dents!

- Enlève ton dentier.



Aussitôt dit, aussitôt fait. Et revoilà la Marie au travail. Et que j'humecte tout autour avec beaucoup de salive, et que j'y vais en douceur, et que je remets mon dentier...

Rien!  Nenni!  Que dalle!!!  Trente minutes d'effort en pure perte.


- Je ne vois qu'une seule solution, finit-elle par articuler avec difficulté.

- Laquelle?

- La voisine.

- La Pamela?

- Non. Elle est à Malibu. Une alerte à la bombe!

- Mais qui, alors?!

- La Germaine. Elle l'a déjà fait avec le crémier, dans son camion, sur la place du village.

- Et?

- Elle est arrivée à ses fins. Il n'a pas résisté. ça a été comme dans du beurre.

- Alors, j'irai la voir demain.


LE DINERWhere stories live. Discover now