Histoire 3 (suite)

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                                              Ma vie de détenue   (suite)




                                            &  5      La fosse aux lions


Il est 19 heures, ma joie et mon courage sont tombés en m'abrutissant de films, la morosité revient, mon homme me manque et le rituel du canapé aussi. Ici, une seule chaise en plastique pour tout confort.

Je regarde Sept à huit sur TF1, on y diffuse un reportage sur cette jeune femme qui a fait croire que sa fille avait disparu. Et qui en fait était morte, enterrée en Belgique avec l'aide de son compagnon. Je me dis que j'ai déjà vu ce visage quelque part...

La cellule s'ouvre, le repas, et à côte de la surveillante, j'aperçois l'auxiliaire d'étage qui me tend mon repas et je la reconnais, la fille au plateau. C'est la fille de la télé,  devant moi.

Le plus hallucinant, c'est qu'elle ne croupit pas dans une cellule, elle travaille, a plein d'avantages que je n'ai pas, moi, même si j'ai buté deux personnes. Je suis dans la fosse aux lions. Seule.

En prison, le plus dur n'est pas d'être enfermée, on le sait, on assume; le plus dur, c'est les petits plaisirs qui sont promis et que l'on oublie de nous octroyer, par négligence ou par simple oubli.

Les parloirs où personne ne vient. Les sourires absents sur les lèvres des surveillantes. Et le refus obstiné qu'on vous oppose. Celui de rencontrer le Père Hamel. Ce désir soudain de religion qui vous bouffe la tête.

Pourtant, on garde espoir dans la nuit noire...

On garde espoir d'un jour meilleur. 



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                                          &  6      Souvenirs du printemps


Je glane ce que je peux du printemps naissant: quelques rayons de soleil qui commencent à se risquer sur mon mur, des chants lointains d'enfants au retour du parloir pour mes codétenues. Une sorte de joie impalpable dans l'éclat d'un ciel bleu et uni.

L'hiver est lugubre pour l'emprisonnée, mais le beau temps accroît la sensation cruelle que l'on vous a oubliée. La pensée se reporte à tous les jardins que l'on a connus, aux fleurs, aux arbres. Comme on a enduré patiemment l'hiver dans l'attente du printemps, il est dur de le voir arriver et de constater que rien ne change pour les détenues, que rien ne s'est produit. Néanmoins, on finit par puiser l'optimisme de l'événement dans l'air plus léger qui souffle dans nos cellules.

 Ce matin, un oiseau s'est posé sur la crête du mur. Il sifflote négligemment et me regarde avec curiosité : revanche de tant de cages ? Je lui jette en vain des miettes de pain. Il ne veut pas descendre dans cet enclos suspect. Ma cage humaine.  L'oiseau finit pars'envoler et moi je reste là à l'envier, lui, qui a le droit de voler vers d'autres cieux...




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                                       &  7      Le reste de ma vie


Est-ce ça ma vie ? Quel triste sort de se voir séparée du monde... de se sentir à l'étroit comme dans un caveau ! Cloîtrée.

J'ai trop de mal à gérer l'angoisse que l'incarcération finit par engendrer. Je touche du front, des mains, des joues, le mur le plus imprévu, le plus sourd aussi! J'ai beau regarder en l'air, histoire de changer d'air, je ne vois que ce mur gris, celui de la souffrance que l'on m'a infligée, à moi "inapte au monde". Vertige de l'âme, j'ai peine à marcher. J'ai peine à penser. J'ai peine à vivre. Triste malheur procurant une cruelle béatitude, je m'enfonce un peu plus chaque jour, foudroyée par un destin trop lourd.

Combien d'injures? Sur ces murs noirs de haine? Combien de peines? De bonheurs perdus. Et moi lasse, je ne sais que penser. Que faire? Pour que ce temps en ces lieux désolés puisse me paraître meilleur? Moins triste, moins gris, moins pesant. 

Pour laver mes péchés.

Aussi.


J'ai trouvé la solution! L'ultime! Il m'aura fallu une hydre de volonté. Un compte à rebours jusqu'à Satan, pour enfin obtenir une entrevue avec le Père Hamel.









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LE DINERWhere stories live. Discover now