Partie 1

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                Lundi 03 décembre


Ce jour là, je n'étais pas seul dans la grande salle. Celle où tout se décidait. Plusieurs collaborateurs peaufinaient les derniers détails de la réunion de fin d'année. Celle des bilans. Celle qui déciderait de l'orientation future de l'entreprise. Celle des licenciements, aussi...



Toutes les taches étaient minutieusement réparties. Une vraie ruche humaine. Chacun bien à sa place.

Comme Julie, qui quémandait en vain les derniers graphiques des ventes. Ou Samuel, face à une pile impressionnante de dossiers, qui pestait contre son café froid.


Et moi, John, relisant fébrilement le bilan comptable de décembre.

Moi, sur qui tout l'équilibre financier de la boite reposait.

Moi, enfin, mort de trouille. Comme chaque année à pareille époque.



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Alors...

Alors, pourquoi donc, ai-je relevé la tête. Juste à ce moment-là. Juste dans cette direction. Dans SA direction. J'avais pourtant mille raisons de relire mon compte rendu. Des chiffres dans le rouge, un dramatique recul de nos parts de marché, des réductions d'effectifs en perspective...

Mais ce fut comme un ordre que l'on m'intimait. Le genre d'injonction à laquelle on ne peut se soustraire. J'ai donc obéi. Et je me suis pris cet éclair en plein visage. Cette boule de feu. Cette beauté solaire qui vous foudroie à tout jamais.

Des prunelles incandescentes, capables de transpercer la carapace la plus opaque . De lire en vous comme dans un livre.

Justes quelques secondes.

Quelques secondes... qui décideraient du reste de ma vie.


J'ai baissé les yeux. Non par soumission. Mais par crainte d'avoir rêvé cette apparition. Quand j'ai redressé la tête, elle avait disparu.



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J'ai très mal dormi cette nui-là. La réunion avait tourné au fiasco. En l'espace de quelques minutes, j'avais perdu toute l'assurance qui faisait ma force. J'avais été pathétique lors de mon exposé. Hésitant, transpirant à grosses gouttes, inversant les chiffres...

Bref, une horreur. 

Si bien que Samuel s'était senti obligé de prendre le relais et terminer à ma place.


A peine la salle vidée de ses occupants, Julie se précipitait déjà sur moi. Comme une furie.

- Mais qu'est-ce que t'as foutu, bordel?! T'as failli tout faire foirer. J'y tenais moi, à ma prime de fin d'année.

J'aurais pu l'envoyer balader. A ce moment-là, tout m'indifférait. Je m'en suis sorti par une pirouette. Des problèmes avec Lisbeth.

Julie avait levé les yeux au ciel, puis avait quitté la salle en claquant la porte. Elle n'avait jamais approuvé mon mariage. Encore moins avec Lisbeth. Elle me connaissait trop bien. Je n'étais qu'un faux-cul à ses yeux, incapable de rester fidèle à une femme.


Bien malgré moi, je dois l'avouer, j'étais ce que l'on nommait communément, un séducteur. Un Don Juan des temps modernes. Un coureur de jupons, quoi! Les femmes succombaient à mon charme. Voilà tout. C'était comme ça. Que pouvais-je y faire?

Jusqu'à cette réunion, mon souci n'était pas de savoir si ma proie serait consentante, mais juste me demander où et quand ce serait possible.

D'ailleurs, Julie n'avait pas dérogé à la règle. Je l'avais sauvagement culbutée à même son bureau. Au beau milieu de ses dossiers marketing.



Cependant, pour la première fois de ma vie, Je me sentais vulnérable. Je venais de vaciller. A cause d'un regard. C'était désagréable comme sensation. Un peu comme si l'on m'obligeait à mettre genou à terre en signe de soumission.

Pour un simple regard...

Je devenais soudain gibier, pris dans le halo des phares. Ma seule alternative consistait en la fuite ou la soumission. Je n'avais plus les cartes en mains. Pour la première fois, un choix cornélien s'imposait à moi.

Deux alternatives... Fuir ou se soumettre. Cela tournait en boucle dans ma tête.

Fuir ou se soumettre...  Les deux cas de figures me terrifiaient. Que choisir?

Fuir... Comment l'envisager. Moi, me dérober devant la plus envoûtante des conquêtes? Jamais!

Se soumettre... Se soumettre à son bon vouloir, à une chose qui me dépassait? En serais-je capable? Moi, le macho! J'avais la désagréable impression que se jouait là mon destin. Après tout, peut-être sommeillait en moi une âme différente qui ne demandait qu'à explorer de nouveaux horizons. Dans ce cas, je ne serais plus le maître du jeu, j'en convenais. On m'imposerait des règles inconnues jusqu'alors.

Etais-je réellement prêt à franchir le cap?! A me jeter dans l'abîme, sans filet de protection?

Cette simple perspective me rendait fou. Ne pas avoir le contrôle, m'ôtait toute lucidité. Je n'avais plus qu'une obsession. Je devais savoir. 

Savoir ce qui me rongeait. Savoir s'il pouvait subsister le moindre espoir. Même infime. J'étais prêt à m'en contenter. Comme un chien à qui l'on donne un os à ronger.


Je me repris, soudain. Je n'étais pas homme à m'en laisser compter. Ni à me laisser abattre. Quitte à employer les grands moyens, je saurais. Et je l'aurais.


Il fallait que je l'aie.


Mon euphorie fut cependant de courte durée. Un doute insupportable m'envahit tout d'un coup.

" Et si je m'étais raconté des histoires?

Si le coup de foudre n'était pas réciproque?"





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                                                                                                     .

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