LE DINER

Le père DUBICON

Le père Dubicon, sentant son foie de travers et sa rate dilatée, décide de consulter son médecin traitant.

Pour ce faire, il se rend au cabinet du docteur Tulamour, situé près de la place du village. La soixantaine bien tassée, un embonpoint de ministre, le père Dubicon n'est pas à proprement parlé un jeune premier. Ni un sportif de haut niveau, même s'il a été réélu "Brioche de l'année" par les clients de la boulangerie locale.

Après un laps de temps interminable dans la salle d'attente, le docteur Tulamour, un dandy de trente ans, le reçoit enfin.

- Asseyez-vous donc. Que puis-je pour vous, monsieur Dubicon?

Plutôt intimidé à la vue de cette sommité locale, notre homme se racle la gorge avant de se lancer.

- Ben voilà, docteur, je me sens plutôt patraque, ces derniers temps. J'ai le fois qu'est pas droit, j'ai la rate qui se dilate, l'intestin...

- Qu'est pas bien?

Dubicon écarquille les yeux, émerveillé devant tant de savoir.

- Comment avez-vous deviné, docteur?

- La rengaine, mon cher monsieur. La rengaine. Avec mes patients, c'est toujours la même chanson. D'ailleurs, à la radio ce matin,...

-Je vais devoir en passer une? Mon dieu, c'est donc grave, docteur !?

Le docteur Tulamour fait un geste d'apaisement en direction de son patient.

- Non point. Non point.

 Il sort une feuille d'ordonnance.

- Je vous prescris  un traitement de choc. Vous commencerez par des analyses...

- D'urine?

- Non point. De sperme. Les résultats sont plus fiables.

Le père Dubicon se trouble, soudain.

- Mais comment vais-je faire pour vous les apporter?

Le docteur Tulamour se lève de son bureau, se dirige vers une armoire à pharmacie, et en sort un flacon en verre blanc.

- Tenez, ramenez-moi votre semence à l'intérieur. Et pas d'inquiétude, le bocal est neuf. Il n'a jamais servi. Par contre, n'oubliez pas de revisser le couvercle après emploi.

Dubicon se saisit de l'objet, la main tremblante. Il le regarde, soudain paniqué.

- C'est bien aimable à vous, docteur, mais, comment dire, je suis gêné de devoir dire ça, mais je crois qu'il va y avoir un léger problème. ça ne va pas couler de source...

Tulamour fronce soudain les sourcils.

- Dites-moi tout. Voyons...

Dubicon se rapproche du docteur, comme s'il souhaitait n'être entendu que de lui.

- C'est la Marie!

- Elle aussi, elle a le foie qui se ...

- Non, non, mais c'est plus une première main.

- Prenez une automatique.

- C 'est que vu mon grand âge, j'ai peur de pas tenir la route. Je suis rangé des voitures, maintenant...

Le docteur lui prend la main droite et lui la secoue (la main).

- Il vous reste ça. 

Dubicon s'empourpre, comme pris en flagrant délit.

- C'est que... Mon imagination me joue des tours, docteur. 

- Alzheimer?

- Je ne saurais dire. Je ne connais pas tous les gens du village.

Tulamour se lève pour la deuxième fois, et se dirige vers sa bibliothèque. Il en sort un vieux magazine PlayBoy, au milieu de ses traités de médecine.

Il revient vers le père Dubicon, et l'agite sous son nez (le PlayBoy).

-Qu'est-ce cela, docteur?

- Un vieux remède de nos grands-pères. L'ancêtre du Viagra.

- Et c'est efficace?

- Un peu, oui! Regardez toutes ces traînées blanches, c'est bien la preuve que ça a marché pour mes autres patients. Par contre, prenez-en bien soin, c'est un Collector.

Le père Dubicon le contemple d'un air ahuri, pendant que Tulamour poursuit.

- Oui, c'est le numéro 69. Vous allez vous régaler! Il y a un reportage sur l'ouverture des moules... Vous m'en direz des nouvelles!

- Ah!

- Sans parler de la pèche à la morue.

- Et au thon?!

- Le thon, j'aime moins. La chair est trop ferme. Et puis, ça rappe dans le fond de la gorge.

Après une poignée de main énergique et vingt-cinq euros en moins, le père Dubicon repartit du cabinet du docteur Tulamour avec un bocal en verre et un magazine sexy.

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