.22 décembre - Gaëlle.

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Il semble que certaines coïncidences ne puissent vraiment en être. Le destin, si l'on peut l'appeler comme ça. Ou bien quel que soit son nom. Peu importe. Je suis donc retourné à la maison. Ma vraie maison. Celle où j'ai grandi. Je n'en avais pas vraiment envie, mais je pense que je devais le faire. Il le fallait, pour pouvoir tourner définitivement la page. Partie comme une voleuse, j'avais laissé les choses inachevées ici. Je suis ici pour en terminer une bonne fois pour toute. Ce n'est pas un retour définitif. Après ça, je retournerai voir Noah, je m'excuserai auprès de lui et de ses parents pour le dérangement que je leur ai causé tous ces mois puis je partirai une dernière fois, pour trouver mon vrai chez-moi, là où je pourrai vivre par moi-même, sans gêner personne, sans compter sans arrêt sur quelqu'un d'autre. Cette idée me fait mal. Mais je relativise. J'ai connu pire.

Donc, je suis retournée à la maison. Papa a failli faire une syncope en me voyant. J'ai eu de la peine pour lui. Lui aussi a dû souffrir à cause d'Anna. Pas seulement à cause de sa mort – bien qu'elle ne l'ait pas laissé indifférente, puisqu'il la connaissait depuis des années – mais parce qu'elle m'a fait partir. Et qu'il s'est retrouvé seul. Je culpabilise un peu, je me traite d'égoïste. Moi qui ne l'ai jamais vu pleurer, voilà que ses joues sont inondées quand il me trouve à la porte. Il m'étouffe en me serrant dans ses bras mais je ne dis rien. Je ne suis pas heureuse. Je devrais l'être, c'est vrai. Depuis plus d'un an, je ne l'ai pas vu, ne lui ai pas parlé, rien. Pourtant, il me rappelle Anna et le souvenir si présent me frappe de plein fouet.

Quand il est calmé, quand je me suis habituée à la douleur ancienne et pourtant nouvelle, tant je ne l'ai pas ressenti si forte depuis des mois, on s'assoit à la cuisine et on se regarde en silence. J'ai laissé un fossé se creuser et nous ne savons pas quoi dire. Il me demande combien de temps je reste. Je lui réponds « pas longtemps ». Un jour, deux tout au plus. Il semble déçu, je sais qu'il l'est. Je suis désolée. Je ne veux pas lui faire de la peine, il n'y est pour rien, mais je ne peux pas faire autrement. Je ne peux pas rester, c'est plus fort que moi, je dois repartir. Pour changer de sujet, il m'annonce que les parents d'Anna ont retrouvé une lettre dans son ordinateur. Aussitôt, toutes ces émotions que je croyais évanouies m'assaillent. Un volcan se réveille, la lave parcoure mon corps de haut en bas et ma tête, mon cœur, mes poumons se serrent d'un coup. N'en aurais-je jamais fini ? Elle ne m'a pas quitté. Elle n'est pas partie sans rien dire. Soudain, j'ai l'impression qu'elle est encore là, que je peux la retrouver. Un espoir fou m'envahit, comme si on m'annonçait qu'elle est toujours vivante. Il faut que je lise cette lettre. Il va chercher dans un tiroir et me tend une feuille de papier.

« Chers papa et maman, rien de tout ça n'est votre faute. Votre seule faute a été de m'empêcher de m'en aller. Il le fallait, vous savez. Je ne pouvais plus vivre sans lui. Je laisse cette lettre pour que vous soyez en paix avec vous-même. Ne m'en voulez pas trop, mais surtout, ne vous en voulez pas de ne pas avoir pu m'arrêter. Je devais partir. Ce n'était pas une fuite, c'était un geste d'amour. Le vôtre sera de me laisser partir, de continuer à vivre sans moi, de ne pas avoir trop de peine. Je suis désolée de vous laisser mais vous êtes deux pour vous soutenir mutuellement. Je vous enviais beaucoup pour ça. Moi je n'avais plus personne, puisqu'il était parti. Pensez à ce que vous ressentiriez si l'un de vous mourrait subitement. C'est ce que j'ai ressenti. Dites à tout le monde que je les aime et qu'ils ne pleurent pas trop. On se reverra au paradis. Je vous aime. Anna. »

La douche est froide. J'ai mal. Pas même un mot pour moi. Rien. Juste une justification pourave. Encore une fois, elle n'a pensé qu'à elle. Je suis en colère. Très. J'ai besoin de taper sur quelque chose. Je serre les points et je sens les ongles s'enfoncer dans ma peau. Je me fiche de la douleur, elle me fait du bien. Je me fiche de sentir peu à peu ma peau se déchirer et quelques gouttes de sang couler. Ce sont les larmes que mon corps exprime. Les larmes que je ne m'autorise pas à verser. J'ai envie de la traiter de tous les noms, mais je n'y arrive pas. Je ne peux pas. Mon père voit que je ne vais pas bien. Il me questionne je ne réponds pas. Puis il voit le sang qui goûte et il s'affole. Il m'emmène d'urgence à la salle de bain, me fait relever mes manches pour que j'évite de me toucher. Et alors il voit mes cicatrices. Celles qui resteront à jamais le témoin de la plus grande erreur de ma vie. Il panique totalement. Je voudrais lui dire que ce n'est rien, que ça va, mais je sais que ce n'est pas vrai. Premièrement, c'est grave, parce que je n'aurais jamais dû en arriver là. Deuxièmement, je ne vais pas bien. Non ça ne va pas. J'ai besoin de Noah. Finalement, je me dis que je vais pouvoir faire d'une pierre deux coups : je clôture un épisode de ma vie et j'entame mon sevrage de Noah. J'apprends à me passer de lui même quand je suis au plus bas. Mon père me question avec empressement. Je lui explique que je ne recommencerai jamais, que c'était une véritable erreur. Il regarde mes mains et ne me crois pas. Je lui dis que je n'ai pas fait exprès. Il me crie que je dois cesser de m'autodétruire. Mais ce n'est pas le cas, si ? Je ne veux pas m'autodétruire. Parce que ça reviendrait à détruire tous ceux qui tiennent à moi. Mon père, ma famille, Noah. Est-ce que Noah serait triste, si je n'étais plus de ce monde ? Je dois cesser de penser à lui, mais je suis déchirée entre lui et Anna. Je suis perdue, je ne sais pas quoi faire. Pourquoi est-ce que la douleur ne s'arrête jamais ? Mon père éponge mes paumes et finalement, je sens la douleur s'insinuer. Et ça fait du bien. Ça me détourne de la douleur morale. « Fais-toi mal ailleurs et tu ne sentiras plus rien. » Bon sang que c'est vrai.

Une fois mes mains nettoyées, je monte dans ma chambre. Je redécouvre ce lieu que j'ai abandonné. Le même duvet trône toujours sur mon lit, la dernière tasse de chocolat chaud que j'ai bu est toujours sur ma table de chevet. Je retrouve même mon ordinateur portable. Le but étant de me couper de tout ce qui me rattachait à Anna, je ne l'avais pas emporté, refusant de recevoir les mails de mes proches. Les appels et les SMS que j'avais à ignorer étaient déjà assez durs. Je prends la machine sur mon lit et l'allume. Je suis tentée de parcourir mes photos mais refuse de voir le visage d'Anna alors que sa lettre m'a fait tellement mal. J'ouvre mes mails. J'en ai plusieurs centaines. De la pub, pour la plupart. Quelques mails de ma famille, me demandant comment ça va. Des messages paniqués de certains amis. La newsletter annuelle de la fac que j'ai abandonnée. Et tout au début, remontant à mon départ, un mail, le seul qui retient mon attention. Envoyé par Anna Grévy. A-t-elle voulu également justifier son acte auprès de moi ? Je prends du temps avant de l'ouvrir. Je ne veux pas laisser mon cœur s'emballer et retomber de haut. Quoiqu'il semble que je ne puisse pas l'empêcher de jouer la salsa.

« Gaëlle. Ma tendre Gaëlle. Je sais que tu vas me détester. Je sais que tu ne vas pas comprendre. Vas-y, hais-moi. Si ça te fait du bien, si ça te permet de moins souffrir, déteste-moi de toute ton âme, de tout ton corps. Je te connais si bien. Je sais que tu penses que je t'abandonne, que je te laisse livrée à toi-même. Ce n'est pas vrai. Quoi qu'il y ait après la mort, je trouverai toujours un moyen d'être avec toi. Je ne te laisse pas Gaëlle, tu m'entends ? Je reste avec toi, tout près de toi. Quoi que tu fasses de ta vie, je serai là pour te soutenir. Je sais que tu feras de grandes choses. Tu es la personne la plus forte que je connaisse. Ne te torture pas pour moi. J'écris ça, pourtant je sais que tu le feras. Je ne sais pas quoi te dire pour être sûre que tu ne soufreras pas trop. Je sais que tu ne feras pas la même « erreur » que moi. Tu n'abandonneras pas ton père, ni tous ceux qui comptent pour toi. Je le sais, et j'en suis heureuse. Je ne veux pas te retrouver avant que tu sois vieille et toute ridée. Et puis comme ça, je resterai toujours plus jeune que toi ! Ne m'en veux pas de plaisanter, j'aimerai juste te voir rire à nouveau. Je veux revoir cette lueur pétillante dans tes yeux. Je veux te voir aimer, rire, vivre. Je veux que tu connaisses les plus beaux moments de ta vie. Tu n'as pas besoin de moi. Tu es si forte... Et je t'aime tant. Ne te dis pas que je ne t'ai pas assez aimé pour accepter de rester sur terre avec toi. Je ne pouvais plus vivre avec cette souffrance. Quand deux personnes sont faites pour être ensemble, elles ne doivent pas être séparées. Tu es si importante pour moi... Mais chasse-moi de ta vie. Je sais que tu vas te torturer, que tu vas pleurer, crier de rage contre moi. Oublie-moi, si tu veux, si ça te permet d'aller mieux. Moi, je ne t'oublierai jamais et je veillerai toujours sur toi, de là-haut. Je t'aime, Gaëlle, tellement. Je ne l'ai pas assez dit, et je suis triste de penser que c'est la dernière fois que je le dis. Alors prends toute la mesure de ces mots, et pour toute ta vie, pour toute notre vie ensemble, pour tous nos moments passés ensemble, pour chaque parcelle de mon cœur, je t'aime. Je t'aime de tout mon être, de toute la force que je peux y mettre. Tu es l'une des personnes les plus importantes pour moi. Je t'aime. J'aimerais que tu m'entendes te le crier. JE T'AIME ! Alors ne pleure pas, ne te détruit pas, pas pour me punir, pas pour essayer d'aller mieux, parce que je t'aime, et que l'amour est un sentiment beau, fort, positif. Tellement que ce sentiment doit te porter toute ta vie et t'aider à avancer. Je t'aime, Gaëlle. Je t'aime, je t'aime, je t'aime. Avec tout mon amour, Anna. »

Mon cœur meurt.

Malgré sa demande, les larmes coulent abondamment sur mes joues. Je lui pardonne tout, et je sais que cette fois, j'irai mieux, pour de vrai. Je sais que j'avancerai, sans me détruire à petit feu. Bon Dieu que je l'aime. Et elle me manque tellement. Mais je sais maintenant qu'elle est là, tout près de moi. Alors je sais que désormais, je parlerai souvent seule, espérant que mes mots l'atteignent. Bon Dieu que je l'aime.



Image : https://www.flickr.com/photos/senseofdoubt/#=_=



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Outch, celui-là est long, mais il permet de dénouer l'intrigue et de permettre à notre petite Gaëlle de faire enfin la paix avec Anna et surtout avec elle-même.... Cela va-t-il lui permettre d'arranger certains autres aspects de sa vie... ? La suite au prochain épisode eheh !

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⏰ Last updated: Oct 21, 2018 ⏰

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