22. Darth Lalie

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Je mentirais si je disais que je n'ai jamais écrit sur un mur ou sur une table. Comme n'importe quel adolescent de mon âge, il m'est arrivé de gribouiller sur mon bureau, en classe, ou aux toilettes. Sauf que la plupart du temps, il s'agissait d'une petite inscription discrète, au crayon à papier ou au stylo bille. Je n'ai jamais, ô grand jamais, osé faire cela à l'aide d'un marqueur noir in-dé-lé-bile, en un lieu aussi risqué que les vestiaires du gymnase.

C'est sûrement la raison pour laquelle mon coeur se met à battre à cent à l'heure tandis que je me mets à raturer les insultes écrites par la meute d'Allison. Une drôle de sensation m'envahit, un mélange de peur et d'excitation qui me donne particulièrement chaud. A ce moment-là, j'éprouve un sentiment de surpuissance, comme si j'étais capable de tout accomplir d'un claquement de doigt.

Je suis forte, rapide, indestructible. Rien ne peut m'atteindre. Des ailes semblent avoir poussé dans mon dos tant je me sens intouchable. Je pourrais faire ce que je veux. Y compris voler. Oui, c'est sûr, je suis devenue une déesse ; je m'élève bientôt dans les airs, loin de la médiocrité humaine, prête à...

— Hum-hum.

Le raclement de gorge m'intercepte en plein vol. Je redescends sur Terre illico, accueillie par l'odeur de renfermé des vestiaires. Le professeur d'EPS me toise de haut en bas, bras croisés.

— Je te dérange pas trop, ça va ? demande-t-il d'un air sévère.

Le marqueur me glisse des mains, laissant une ultime rayure verticale sur le mur. Jadis blanc, ce dernier comporte désormais un énorme carré dessiné au marqueur noir, à l'endroit où se trouvaient les injures à l'encontre de Miléna.

— On peut savoir pourquoi t'as fait ça ? demande l'enseignant en inspectant mon oeuvre. Non, attend, laisse-moi deviner ! Je parie que tu fais partie de ces ados emo-gothiques-sataniques ! T'as vu ce mur immaculé et t'as voulu le peindre en noir ! Ou alors t'es juste fane des Stones...

J'écarquille les yeux. Ma parole, ce prof est encore plus stupide qu'il en a l'air ! Et je me sens un peu vexée d'être comparée à une emo ou une gothique.

— Mais... mais non, je bredouille. Je... J'effaçais juste les in...

— Ouais, bon, en fait je m'en fiche, je t'emmène direct chez la CPE, tu lui expliqueras à elle !

C'est ainsi que, ne me laissant pas argumenter davantage, il m'attrape par l'épaule puis me pousse sans ménagement hors des vestiaires. Il me bouscule de cette manière devant mes camarades de classe qui me dévisagent avec des airs moqueurs, choqués, désapprobateurs ou juste perplexes. Mon regard croise celui de Mattéo, lequel a l'air franchement interloqué de me voir traînée jusqu'à la sortie du gymnase comme une cancre.

A ce moment-là, une fille discrète et timide telle que moi devrait se sentir angoissée à l'idée de s'être attiré des ennuis... Alors qu'en vérité, la seule chose qui me préoccupe, stupidement, c'est de devoir me trimballer dans les couloirs du lycée en tenue de sport, avec mon jogging Domyos démodé.

Je rougis d'embarras devant les regards des élèves que je croise, et ma honte atteint son paroxysme au moment où j'aperçois, parmi eux, le visage horrifié de Marjorie. Je l'entendrais presque me sermonner télépathiquement sur mon mauvais goût vestimentaire.

Je songe encore à tout ça une fois assise devant la porte du bureau de la CPE, attendant qu'elle me reçoive. Je me sens tellement idiote de ne pas avoir pris le temps de me changer avant de commettre mon forfait ! J'essaye d'empêcher mon regard de glisser sur les nombreux défauts de mon jogging, mais c'est plus fort que moi.

Je remarque son aspect vieilli, peluché, ainsi que les nombreux poils de chat qui y ont élu domicile. J'écarquille les yeux en apercevant un petit trou au niveau de mon genou, puis y dépose immédiatement la main afin de le dissimuler.

Banale !Where stories live. Discover now