Chapitre 8

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La discussion commence, malhabile, fragile comme un de ses faons nouveau-nés qui se lèvent et qui marchent maladroitement sous l'œil attendri des spectateurs. Doucement, nous prenons nos marques avec des échanges futiles sur la famille élargie. Nous fuyons les chemins escarpés des propos qui fâchent, sa vie, la mienne, sa santé. Nous évitons pour le moment les vérités qui pourraient nous blesser. À force, nous n'avons plus le choix, nous devons faire face à la raison de nos présences ici. Je vois à son regard qu'elle va se lancer. Elle est décidée.

— Pierre-Emmanuel, je voulais savoir si tu étais heureux de ta vie ? Tu ne regrettes rien ?

Que puis-je répondre à la juste inquiétude d'une mère, avoir des enfants heureux ? La vérité comme je le fais toujours. Les mots franchissent spontanément ma bouche.

— J'y étais presque. Ça m'a fait peur, tellement c'était près. Je...

Des images de Thomas se bousculent en moi, lui me souriant séducteur, lui me faisant rire, lui m'aimant passionnément, lui brisé à mes pieds au seuil de ma porte, ce matin. Qu'avais-je fait ?

— Tu veux en parler ? m'interroge-t-elle gentiment ?

— Je crois que j'ai fait une bêtise, mais rien d'irréparable, tenté-je de la rassurer, à moins que ce soit moi que je rassure maladroitement.

— Tu veux me parler de lui ? Décris-le-moi ! Raconte-moi votre rencontre !

— Il est fort et sûr de lui, séduisant. Il est beau en uniforme, mais encore plus sans. Je me sens bien avec lui, en paix.

Je me lance emporté par mes souvenirs de Thomas, je lui parle de notre première rencontre et de mon coup de foudre pour ce bel homme musclé impressionnant en uniforme, aux si yeux doux. Je lui proposerais de faire le portrait de mon amant, mais je suis parti sans rien, pas de carnet ni de fusain. Alors je retiens mon envie et continue mon histoire. De cet état de fait que j'avais annoncé à haute voix, de notre premier rendez-vous, du temps qu'il a pris pour me séduire.

— C'est beau l'amour naissant et l'espoir ! J'avais presque oublié comment c'était.

Mes parents amoureux, c'est impossible pour moi, cette certitude monstrueuse doit se voir sur mon visage. Car devant mon air surpris, elle se met à continuer pour s'expliquer.

— J'ai aimé une personne à la folie avant d'épouser Pierre puis une autre après aussi.

Certains disent qu'on ne doit rien connaître de la vie amoureuse de ses parents. Mais là, je suis heureux d'apprendre qu'elle a connu quelques instants de bonheur loin de mon géniteur, ce beau salaud qu'il l'avait trompé ouvertement avec ses assistantes ou quelques-unes de ses soi-disant amies. Il n'est pas le seul à porter des cornes. Au moins, elle l'avait fait discrètement. J'en souris.

— Tu n'es pas choqué ? m'interroge-t-elle.

— Non ! Je peux le comprendre, tu ne l'aimes pas ! Je me pose juste une question. Pourquoi tu ne l'as jamais quitté ?

— À cause de mes responsabilités !

— Lesquelles ? Le groupe est géré par le conseil d'administration et il n'y a aucun rôle ni pouvoir. Si c'est à cause de mon frère et de moi, vous auriez pu le quitter à notre majorité ! Non ?

— J'ai épousé ton père, car il connaît un de mes secrets, enfin il l'est devenu. C'était celui de mes parents avant. Mais j'en ai hérité avec tout le reste et j'ai bien peur de devoir te le transmettre, car je vais mourir.

Je la regarde, troublé, elle m'a demandé de venir pour ça, pour m'annoncer son départ. Mais je viens seulement de la retrouver.

— J'aurais tant aimé que ça n'arrive jamais... Avoir du temps avec toi, avec ceux que j'aime avant que...

Cette pause m'insupporte, mais je vois bien qu'elle essaye de me mettre des mots sur ce qu'elle veut dire. Dans son regard, je réalise le conflit, les doutes qui y naissent et y meurent. Je viens de comprendre malgré moi que cette reprise de contact sera de courte durée.

— Le cancer qui me ronge est le plus fort. Il a gagné trop vite du terrain et trop fort. Les... les médecins me laissent peu d'espoir et... si peu de temps.

J'essaye d'assimiler ce qu'elle me dit. J'écoute, j'entends, mais ma tête ne veut pas enregistrer ce qu'elle m'apprend. Je lutte, mais je perds à chaque fois.

Je suis en train de perdre ma mère que je viens de retrouver. Des larmes coulent de ses yeux comme des miens, je la serre contre moi en une étreinte maladroite pleine de désespoir. Je m'accroche à elle comme un naufragé à une bouée.

J'y serais encore si une infirmière ne nous avait pas interrompues pour me demander de sortir, il y a cinq minutes. Depuis une aide-soignante puis un médecin, les avaient rejoints. J'attends donc dans ce couloir rempli d'odeur d'antiseptique et de maladie que rien ne masque malgré les parfums de synthèse. Lavande, non ! Agrumes peut-être ? Qu'importe finalement, ce n'est pas assez fort, ce sont les effluves de peur, de blessures et de mort qui règnent en maître ici ! Ça m'effraie, j'essaye de penser à autre chose.

À quoi puis-je me raccrocher quand tout semble s'effondrer ? Un instant, je désire la présence rassurante de quelqu'un qui me dise que tout ira bien et que je ne serais pas seul au final. L'image de Thomas s'impose à moi. Je m'admoneste. Ce n'est pas le moment ! Je focalise mon attention ailleurs sur les tableaux. Inintéressant au possible ! J'ai besoin d'évacuer ce trop-plein d'énergies malsaines alors je marche de long en large faisant les cent pas en attendant.

Je regarde l'heure. Que deux minutes ! Le temps s'est arrêté ou quoi ? C'est trop longtemps à mon goût, c'est décidé, j'y retourne. À peine arrivés devant la porte de chambre, ils en sortent en groupe. Je suis sûr que l'équipe médicale ne sait pas qui je suis. Je n'aurais pas d'informations pour calmer mes doutes comme la plupart des gens. Avec le temps, et la volonté de mon père, les gens ont vite oublié qu'il y avait deux héritiers pour l'important groupe hôtelier de luxe et succédé au célèbre politicien. Ce constat amer est toujours blessant malgré les années écoulées, il m'avait gommé de leur vie privée et publique. Une question surgit dans ma tête lorsque je pousse la porte. Comment réagira-t-il quand il saura ce qui se passe maintenant ? Rien à faire, je me battrais comme lui s'il le faut pour la voir. C'est ma mère et pas seulement sa femme faire-valoir. J'entre.

En toute franchise [MxM]जहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें