Chapitre 2

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Aujourd'hui, j'angoisse. Pourquoi ? Ce soir, j'espère que Thomas et moi allons avoir notre première nuit. Cette phase de séduction que nous jouons depuis notre rencontre se termine. Enfin, je l'espère, car je suis à bout, mon corps réclame cette concrétisation. En même temps, j'ai cette petite voix qui me souffle que ça va mal se finir. J'ai peur de me réveiller seul au matin, comme bien d'autres fois. Pour être franc, je me suis attaché à mon policier. Je suis même amoureux, je crois. Cet état est si merveilleux, j'avais oublié combien ça nous rend euphoriques et impatients. C'était, il y a si longtemps la dernière fois ? Je n'étais alors qu'un adolescent un peu naïf et fantasque. Même symptôme, cette urgence à le voir, à lui parler, à le toucher et derrière cet appel à tellement plus. Tout en moi tendait vers l'objet de mon affection.

Un mois que nous flirtons, multipliant les rendez-vous en fonction de nos agendas. Depuis, j'ai rempli un petit carnet de lui et seulement lui. Adieu, les garçons anonymes croqués dans les rues. La première fois que Thomas a souri à un de mes éclats de spontanéité, j'engrangeais cette image afin de dessiner son visage en rentrant de l'Explicite. Les multiples croquis de sa bouche sont les souvenirs de la tension qui m'habite. Nous échangeons seulement quelques baisers frustrants. Il prend son temps, me rendant de plus en plus accro à lui à chaque rencontre.

Ce que j'ai vécu avant me hante. Les autres qui fuyaient après avoir eu ce qu'ils désiraient... Et lui ?

Je pioche un feutre noir dans un des pots qui trône sur mon bureau. Je déverse mes craintes sur une feuille volante : un dessin humoristique. Je ne veux pas ternir son carnet de ce doute. Je trace, un Thomas approximatif en uniforme séduisant un autre moi. Chaque case raconte une étape d'une mauvaise histoire pourtant si fréquente. Au cours d'une soirée, il me fait prince. Nuit de passion sous une horloge. Les douze coups de minuit résonnent dans la chambre vide, enfin presque. Zoom sur l'oreiller, un cercle d'or emprisonne un crapaud qui dit qu'il a encore été abusé.

On sonne. Je froisse le papier, le jette dans la poubelle, espérant exorciser le cauchemar que j'ai crayonné.

Je me lève et file vers l'entrée laissant le mauvais pressentiment qui m'assaille derrière la porte de ma chambre. Il n'y a rien d'autre à faire. C'est quoi cette drôle odeur ! pensé-je en lui ouvrant.

Je peste, je râle. Nous sommes dans le métro, attendant l'arrivée de la rame, nous partons manger dans un restaurant qu'il connaît, suite à un contretemps. Je suis en colère contre moi pour de bonnes raisons. J'ai gâché le repas prévu pour Thomas et moi en dessinant pour déstresser. L'odeur de brûlé était telle que j'avais dû laisser les fenêtres entrouvertes pour aérer. Impossible de se faire livrer. Putain, la conséquence finale est trop douloureuse pour moi. Ce ne serait pas encore ce soir que je connaîtrais l'extase dans ses bras. Je n'aime pas cette idée. Je suis frustré. Je ronchonne. Pas bonne idée de lui montrer une facette de ma personnalité que j'aurais aimé cacher. Je n'aime pas les échecs. On m'a élevé pour que je sois l'exemple même de la réussite et la perfection, pour être le meilleur. Malgré tout ce que j'ai fait pour tourner le dos à cette éducation, il en reste des traces.

Quand Thomas se met à rire, je ne comprends pas ce qu'il y a de drôle. Enfin si, mon comportement infantile. Je l'avoue, mais pas que. C'est alors que je réalise le contenu de l'affiche publicitaire qui me fait face sur le quai opposé. Celle que j'avais l'air de fixer étrangement.

Le message est clair : « Offrez-vous 20 cm de pur bonheur ! » avec une énorme saucisse brune de Morteau sur fond d'ardoise. Celle d'à côté clamait « Certains en font tout un plat ».

Je ne peux que le rejoindre dans son délire. J'ai les larmes aux yeux quand nous entrons dans le wagon. Ça m'a bien détendu et balayé ma mauvaise humeur. Il se colle à moi, m'enlace, un peu canaille. Mon policier m'embrasse tendrement le dessus de l'oreille avant de murmurer.

— Enfin, j'espère que tu apprécieras...

Cette promesse susurrée efface tout comme ma gomme sur mes esquisses.

Je flotte sur un petit nuage tel un ange bienheureux, le ventre rempli de gourmandises, légèrement ivre et impatient. Thomas s'est chargé de mettre dans cet état en choisissant avec soin le repas et en m'électrisant par ses sous-entendus toute la soirée.

Je l'avoue, je vois la vie en rose comme dans la chanson de Piaf. Il me fait tourner la tête comme elle chantait aussi. Je sais ce qui m'attend avec mon beau brun. Des instants très... très... Stop ! Ce n'est pas le moment, PEM ! Une érection dans un skinny c'est douloureux et peu discret. Que je suis pressé de sortir du métro pour remonter à l'appartement et l'ôter et... Vite ! C'est bon, je m'échappe enfin de la rame. Je file dans ses couloirs trop gris, trop tristes, suivi de mon homme. Il m'attrape et me bloque contre un mur, les bras de chaque côté de ma tête.

— On n'est pas pressé ! affirme-t-il.

Je le contredis d'un mouvement de tête et en frottant mon bassin contre le sien. Je ne peux parler sinon je vais déraper. Il m'embrasse. Je l'arrête avant de m'enflammer. On se repousse.

— Vite ! me défi Thomas.

Oh non ! L'orage annoncé a éclaté pendant que nous étions sous terre. Il pleut à verse, la rue s'est vidée face à la violence du ciel.

Je cours et arrive essoufflé devant la porte cochère de mon immeuble. Je suis trempé et la pluie faiblit. Des bras me capturent et me font tourbillonner dans les airs. Des lèvres prennent les miennes.

Je danse avec mon amoureux. Je fredonne l'air de Chantons sous la pluie et il rit. Nous nous embrassons. Je suis heureux, excité à ce qui nous attend. Je savoure ce moment de folie. Nous nous arrêtons en même temps qu'elle. Il est l'heure de renter, de concrétiser notre passion. Thomas me repose au sol et me regarde, plein de désir.

Une silhouette familière sort de l'impasse en face de mon immeuble et se précipite vers nous.

En instant, je suis dégrisé. 

En toute franchise [MxM]Where stories live. Discover now