Chapitre 16

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À peine la porte cochère passée, je niche mon casque sur les oreilles. J'ai besoin d'oublier ce moment gênant. Sur mon téléphone, je choisis ma playlist préférée : ma spéciale France années mille neuf cent quatre-vingts. J'adore cette période et particulièrement le ce genre pop-rock, et je sais pourquoi, enfin plutôt à grâce à qui, j'ai cette passion pour les chansons rétro de cette période.

Marie-Paule Pommier, la précieuse cuisinière de mes parents. Je me souviens d'elle, toujours de la même manière, une vision idéalisée enfin pas tant que ça. Un tablier noir noué sur ses hanches, contrastant avec son pantalon blanc, et ses hauts colorés, elle s'active dans la cuisine en se balançant sur des airs diffusés par la radio, faisant cliqueter sa cuillère en bois sur une casserole comme un batteur de temps en temps. Sa chevelure blonde dissimulée sous une casquette noire car elle n'était pas un chef et qu'elle avait l'air d'une cloche avec une toque selon ses propres dires. Marie ne correspondait en rien au look du chef d'une grande famille bourgeoise mais en elle en avait la gentillesse et la générosité. Elle fredonnait constamment en me préparant mes goûters, tous comme les autres repas de la journée. C'est elle qui m'avait appris à danser autre chose que les danses de salon à côté de son « piano » son instrument sans musique comme elle aimait à l'appeler. Moi je l'adorais plus que celui du grand salon que je devais martyriser presque tous les jours sous le regard de Madame Clément une professeure de piano des plus revêche et désagréable. Au moins celui en inox, m'amenait de la joie et du plaisir. Je salivais aux souvenirs de ses tartelettes aux pommes, des choux à la crème et autres douceurs qu'elles préparaient.

Oh non ! Maintenant, j'ai envie de madeleines dorées avec un bon chocolat chaud épicé. Ce n'est pas sérieux donc je repousse cette idée gourmande à plus tard.

De la pure variété, beaucoup d'Indochine, Michel Berger, etc. Là, Les Rita Mitsouko entament un nouveau morceau. Je me fige un instant, me fais bousculer par un homme trop pressé sans excuse. Je me reprends tant bien que mal et repars, continuant mon chemin dans les couloirs du métro.

La musique est rythmée pleine de soleil et d'entrain. Presque insouciante, elle t'invite à danser sur des airs latinos te faisant oublier les paroles pas si innocentes et le leur secret qu'elles dévoilent. Marcia, elle danse et moi je marche. J'ai toujours aimé celle-ci même si enfant, mais si je ne comprenais pas tout ce qu'elle racontait.

« Elle aime tellement la vie ». Ma mère est-elle comme cette danseuse ? Non, à première vue, elle est loin de cette femme décrite, pleine de vie de rires, entourée d'amis. Et Maman n'a jamais pu être une femme libre et libérée comme l'insouciante Marcia Balia. Sur elle, a toujours été pesé le poids des conventions sociales de son milieu, de mon père, de sa société et de son secret. Tous l'ont tenu à l'écart de la richesse de ses petits bonheurs du quotidien. Elle le regrette, je l'ai compris lorsqu'elle m'a confié le destin de sa précieuse Katy.

« C'est le cancer que tu as pris sous ton bras ». Cette phrase me fait mal, ainsi que la suite qu'elle sous-entend. La mort qui va l'emmener, bientôt. Voilà, ces deux femmes ont donc un point commun, celle d'une disparition annoncée bouffée par cette putain de maladie. Et moi, que puis-je faire face à cette réalité ? Rien alors, je laisse filer la chanson et j'avance jusqu'au quai. Je monte dans le wagon pour poursuivre mon trajet jusqu'à la clinique.

Je serais là auprès d'elle jusqu'à la fin, me promis-je car je ne pouvais rien faire d'autre que d'être à ses côtés, c'est ma maman.

La chanson finie, un air différent fait le relais, moins pesant et plus léger. Cette nouvelle musique m'enveloppe avec douceur et permet que je me focalise plus trop sur les voyageurs autour de moi, que je n'affiche pas trop le chagrin qui m'avait pris avant.

Les vibrations du wagon, la proximité des gens, les odeurs, la chaleur moite qui prennent le dessus sur tout. Franchement, une des choses que je regrette de mon ancienne vie provinciale, c'est la belle voiture avec chauffeur qui m'évitait cette promiscuité étouffante avec la foule. Elles sont loin les routes ouvertes de ma province natale bordée d'arbres, de paysage somptueux que la nature généreuse nous offre. Ce que l'on ne voit pas ou plus à force de les côtoyer au quotidien.

Dans ces sous-sols, c'est simple ça pue malgré tout ce qu'ils tentent de faire pour le gommer. Je pense que déverser tous les parfums des champs de lavande au soleil couchant, rien n'y changeraient rien. L'odeur d'ici, c'est la combinaison de la proximité et de la misère qu'impose la vie urbaine.

Paris est peut-être la Ville Lumière aux yeux du monde, celle de la mode et des arts, mais tout n'est pas que beauté chez elle. Elle n'est pas menteuse, limite aussi franche que moi. Elle ne cache pas ses parts sombres. C'est les autres qui sont aveugles à ses défauts. La plupart des gens portent juste d'immenses œillères lorsqu'ils viennent la visiter. Pourtant, il suffit d'y vivre un peu pour les perdre de manière définitive. Les miennes s'étaient dissoutes quasi immédiatement lorsque j'avais débarqué ici depuis la gare de Lyon, jeté direct du train dans la fureur des gens de la plèbe pris par la vie métro-boulot-dodo. Je n'étais pas prêt, sale petit bourgeois privilégié abandonné à la vraie vie.

Immense claque, dès j'ai dû prendre emprunter les transports en commun pour la première fois de mon existence au lieu d'un taxi. J'étais perdu dans ses dédales de couloirs, ironique vu que maintenant je les arpente avec aisance non feinte.

J'étais sortie de la bouche de métro pour faire face à des réalités que je n'avais pas réalisées lors de mes précédents séjours avec mes parents : celle de la pollution que je ne connaissais pas, celle des embouteillages. Nouveau revers !

La dernière claque avait été le coût de la vie, j'avais dû rapidement me faire une raison et dire adieu à un grand appartement hors de prix pour ma bourse si je ne voulais pas épuiser mon épargne en terminant mes études. Avec beaucoup de chance, j'avais évité de justesse la chambre de bonne insalubre dont j'avais découvert la triste existence en rendant visite à des amis ou des camarades, j'avais appris à chérir le peu que j'avais.

Avec le recul, je peux affirmer haut et fort que vivre ici seul m'avait fait devenir un adulte plus vite que je l'aurais fait dans ma vie provinciale bien rangée de bourgeois fortuné. Je me rends bien compte que je n'étais qu'un grand adolescent insouciant à mes vingt ans, profitant de l'argent de ses parents et des plaisirs que lui procuraient la vie et ses amants occasionnels.

« À quelque chose malheur est bon», me répétait Marie-Paule, toujours d'humour positive, c'était le genre de femme à voir le verre à moitié plein plutôt que vide. Un peu mon envers mais je l'admets quand même, de mon rejet familial, j'avais fait une force au final. J'avais acquis une liberté salvatrice pour moi, à bas les codes et les obligations non désirées par mon milieu de naissance.

Que pourrais-je tirer de positif dans ce qui profilait dans mon futur ? Je n'arrive pas à voir ni à imaginer quelque chose de bien ressortir de tout ça. Je ne voyais que la tempête qui s'annonçait comme dévastatrice : la perte de ma mère. À quoi et à quoi pourrais-je m'ancrer pour ne pas être submergé par le chagrin à ce moment-là ? Pas Katy, elle surferait la même vague de chagrin que moi. Pour elle, il faudra que je tienne le cap, que je sois fort. Le pourrais-je seul ? Putain, ce que j'aimerais dire un Oui franc et massif. Impossible, je n'y arrive pas. Je ne suis pas l'homme parfait que vantent les contes ou certains films : stable et accompli, sur qui on peut compter. Merde, je ne suis qu'un humain imparfait par nature ! Alors non, je vais avoir besoin d'aide. Un prénom me saute à la figure.

Thomas pourrait-il être mon roc sur lequel m'appuyer ? Affirmatif. Ai-je envie qu'il le soit ? Affirmatif. Ai-je envoyé un appel au secours auprès de mon beau policier ? Affirmatif. Lui ai-je écrit un texto où je lui demandais un rendez-vous ? Affirmatif. Ai-je besoin qu'il soit plus mon chevalier blanc ? Affirmatif. Thomas ! Amour ? Affirmatif.

Je rigole comme un con à mon raisonnement et la prise de conscience qu'il m'a permise, mais surtout à ma lubie subite de réécouter la chanson No comment de Gainsbourg. Je farfouille mon téléphone, et je lance ce morceau.

Si j'ai quoi affirmatif... et quoi d'autre... no comment...

Je souris lorsque j'arrive à mon arrêt. 

En toute franchise [MxM]Where stories live. Discover now