Chapitre 3

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Les « Pourquoi » filent à toute vitesse dans ma tête. Pourquoi mon passé me rattrape-t-il ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi lui ? Je frissonne de peur, anticipant le conflit à venir. Ces yeux pleins de colère ne présagent rien de bon. Il ne peut pas me détruire à nouveau.

Je resserre mes doigts sur la main de mon compagnon. Je dois trouver la force et le courage de résister à mon adversaire. J'ancre mes pieds au sol et j'attends que la confrontation démarre. Comment ça va commencer : cris, insultes ou coups ?

— Tu ne changeras donc jamais.

— C'est une question ou une affirmation, mon frère ? Me connais-tu si mal ?

On se toise, tous les deux cherchant les différences. Sept ans se sont écoulés, toute une vie. Le temps a fait son œuvre sur lui, un petit ventre rond, des fils blancs çà et là dans sa chevelure sombre qui commence à s'éclaircir, comme celle de notre paternel. Presque un double, parfaite caricature du successeur. Moi, je suis plus le gamin de vingt ans, éloigné pour étouffer le scandale de l'été. Le benjamin d'un élu ultraconservateur surpris en plein ébat avec un homme lors du mariage de l'aîné avec une héritière prisée. Preuves filmées largement diffusées dans les médias. Finis la carrière du père, terminé les rêves de gloire du grand. J'avais tout brisé.

Je n'étais qu'un petit con en chaleur qui n'avait pas réussi à tenir sa bite. Le député était vulgaire quand il était en colère. Les mots font mal, autant que les coups fraternels. Je n'oublierais jamais ceux de Charles-Xavier avant qu'il me jette à la gare tel un rebu.

Il est très loin le jeune homme blessé et apeuré que j'étais alors. Devant lui se dresse un homme prêt à en découdre.

J'ai changé, je me suis construit seul sans ce nom de famille haï, sans leur argent maudit. Je suis devenu PEM, un mec franc, pas un homme qui se cache ou obéit aux ordres. Ses yeux sont pleins de dégoûts pour ce que je suis, ma tenue est sûrement trop voyante à son goût, elle affiche trop ce que je suis et finalement si peu.

— Toujours aussi gay, me jette-t-il au visage de manière acide.

— et fier de l'être ! répliqué-je. J'en suis heureux... ajouté-je en serrant les doigts de Thomas.

— Comment peux-tu continuer dans cette voie ? Faire honte à notre nom, à notre famille ! enchérit-il.

Ce nom, je l'ai abandonné, ce soir-là. Je me suis reconstruit sans et c'est tant mieux vu les exemples que sont ceux qui le porte. Je me tourne vers celui qui fait battre mon cœur pour y puiser de la force de ne pas lui jeter ça à la figure. Je me retiens, mais réplique quand même. Je sais me battre avec les mots maintenant.

— Avec amour. J'aime une personne au-delà de tout. C'est un homme, c'est certain. Mais c'est avant tout une personne gentille qui me respecte. Deux notions que tu ne connais sûrement pas avec ta femme et encore moins avec ta maîtresse.

— Tu ne changeras donc jamais.

— Peut-être, mais sûrement pas pour te ressembler et n'être que l'ombre d'un autre.

— Tu ne la mérites pas, me dit-il en me jetant à la figure une enveloppe avant de partir.

Je le rattrape, agrippe sa manche pour l'obliger à me faire face. Je suis plein de colère et elle doit sortir.

— C'est quoi ça ? C'est pour quoi ? Me faire encore plus mal qu'avant ? Une fois ne suffisait pas ? L'annonce qu'on me déshérite ? La Poste suffisait ! Le décès d'un proche ? Ah non, impossible de ce côté. Alors qu'est-ce ?

Pas besoin de réponse. Ai-je vraiment envie de savoir ? Et puis je réalise.

— Attends, je devine ! Tu voulais voir où j'avais fini, la fange dans laquelle je patauge. Dans quelle puanteur m'avait mené mon immorale sexualité. Tu voulais t'en gausser un soir avec Père. Ah moins, tu désirais d'enorgueillir ta réussite par rapport à mes échecs. Je suis pauvre peut-être, je ne suis qu'un petit rouage du système, mais je suis cent fois plus heureux qu'alors, coincé dans le chemin qu'on m'avait imposé. Mille fois plus que tu ne le sauras jamais.

Je me rends compte que je déverse sans retenue le fiel que j'avais gardé en moi si longtemps. Une main apaisante se pose sur mon épaule, me stoppe. Mes doigts desserrent l'enveloppe froissée. Je recule. Mon aîné est libre, prêt à répliquer méchamment, cependant mal à l'aise, je le lis à son visage. Mes mots l'ont-ils touché ? Non ! il est trop formaté et froid pour ça.

— Une lettre de Mère, je lui devais de faire ça bien. Je te la remets en personne.

Voilà qui explique tout ! Notre génitrice règne sur les cordons de la bourse. Père et lui le savent trop bien. Mon aîné voulait qu'elle apprécie son geste, entrer dans ses bonnes grâces. Celles que je n'avais plus depuis longtemps ? Je resserre un peu plus fort mes doigts sur la main de mon protecteur.

— Pas un mot de plus, partez ! Et vite avant que ce ne soit moi qui m'énerve, l'interrompt Thomas.

Aussi couard qu'avant, mon aîné s'enfuit devant ses mots chargés de promesses.

— Ça va ?

Deux mots « bateau » presque vides de sens, mais le ton sincère reflétait l'inquiétude de mon policier.

— Franchement, non ! J'ai... j'ai besoin... Je ne sais pas...

Ça me bouffe de l'intérieur. J'expire puis inspire longuement. Je réalise que je pue la transpiration. Pas sexy, le mec. Entre ma maladresse culinaire, l'averse et cette confrontation avec mon sombre passé, la fin de soirée est plus que compromise. Ce qu'il a découvert va peut-être achever la longue liste des raisons pour me fuir. Le diablotin a achevé l'angelot qui dansait sur mon épaule y a peu.

J'ai envie de pleurer, de me terrer sous ma couette. Je prie pour qu'il pleuve à nouveau, pour me débarrasser de cette impression que Charles-Xavier m'a remise sur le dos. Je pensais mettre débarrassé définitivement de cette chape lourde qui m'emprisonnée quand j'avais rejoint Paris. Celle qui m'a fait me cacher dès mes treize ans, quand j'avais compris ce que j'étais. Celle qui m'a poussé au suicide à quinze ans.

Je veux être de nouveau le PEM séduisant que Thomas désire. Pour le moment, je ne suis qu'une épave au regard implorant.

— Viens, on a besoin d'un bon bain chaud et d'un câlin, finit-il par dire en me serrant dans ses bras.

Je me laisse faire. Les mots font toujours aussi mal. On rentre dans mon appartement. Je ne veux pas rester dans ses bras. Je me sens sale et je ne sais pas quoi dire, lui révéler. Qu'a-t-il compris ? Je ne veux pas savoir, je fuis son et file à la salle de bain. Je regarde l'eau couler dans la baignoire, formant un nuage d'écume. Un « je sais » me surprend, je sursaute. Thomas est là, dans l'encadrement de la porte. Mal à l'aise quand il lance sa pitoyable excuse « Réflexe policier ».

— Quoi ? Tu as fouillé pour découvrir ce que cachait le mec que tu draguais ? Ma parole ne te suffisait pas ? J'étais Pierre-Emmanuel Alexander Henry Monfort-Martens, pauvre petit garçon riche et malheureux. Je ne suis plus que PEM, obscur et honnête secrétaire à plein temps d'une faculté et pseudo-artiste. Je me suis fait ma vie malgré tous et toutes...

Thomas me rejoint et capture mes lèvres et me donne un baiser à couper le souffle. J'aime sa manière de me faire taire. Ses vêtements tombent à terre, mais pas assez vite à mon goût. Je l'aide.

Mouillés, enlacés, aimés, nous sommes tous les deux dans le bain, à tout s'avouer.

Comment peut-il me faire oublier ainsi ? Quel est son pouvoir ? Je n'en sais rien. J'accepte juste le bien qu'il me fait et l'observe. Ses grands doigts glissent sur ma peau mouillée. Les gouttes capturent la lumière des bougies et magnifient de mille éclats la salle de bain plongée dans l'ombre. Il retrace les lettres à l'intérieur de mon poignet. Thomas m'interroge sur sa signification et celle des autres. Je me dévoile, un peu plus, lui racontant leur origine. Le mot FREEDOM dont le haut du M s'est détaché et envolé loin. Quand je suis arrivé à Paris après... Plus récemment, la reproduction d'un dessin de Picasso, un visage de la paix. La paix que je croyais avoir trouvée, vis-à-vis de moi et des autres... Les larmes coulent sans que je puisse les retenir.

Ses mains se promènent sur mon corps. Elles remontent sur les muscles de mes épaules, effaçant la tension qui s'était accumulée ce soir. Tel un thaumaturge, il gomme en douceur mes maux, à coups de caresse en libérant ma parole.

En toute franchise [MxM]Where stories live. Discover now