Chapitre 6

121 14 3
                                    

Hier, je me suis effondré comme une masse, tout habillé sous le poids de la rage et de la tristesse. Je me réveille en pestant sur ça, contre tout et rien, contre lui et moi, mais surtout sur les cauchemars de ma nuit. J'ai rêvé de moi rampant à terre telle une larve pitoyable tendant de rejoindre La lettre qui me suppliait avec la voix de Thomas : « PEM lis-moi ! ». J'avançais, mais le sol s'étirait interminablement, éloignant mon but à jamais inaccessible malgré tous mes efforts. Putain de rêve à la noix !

Je buvais mon café pour mettre mes idées au clair et affronter ce que j'avais repoussé la veille. J'attrape prudemment le papier froissé comme s'il allait me brûler les doigts. Je décidais que cette lettre ne montre que les mauvais côtés des gens. J'ai envie de la déchirer en morceaux, de supprimer ce qui m'a fait souffrir depuis que je l'ai reçue. Je ne peux m'y résoudre. Instinctivement, je suis presque sûr que ce n'est pas les mots habituels de ma mère. Elle est différente des autres, de celles qui me jurent son amour malgré les circonstances et qui s'excusent de la distance qui nous sépare. Mère a choisi de prendre la plume pour me contacter en dehors de mon anniversaire et de sa carte aimable annuelle allant de pair avec celle de Noël. Cela doit être important pour la confier à mon frère et non la poste comme d'habitude ? Ça m'intrigue. Je commence à lire...

Mon petit garçon devenu si grand !

Depuis des mois, j'ai commencé cette lettre. Dix fois et plus, j'ai débuté sans trouver les bons mots. Parfois des choses sont dures à révéler. Impossible de les coucher sur le papier, de le dire au téléphone ou via un ordinateur. Il faut que je me confie à toi en direct.

Mais j'ai peur que tu me rejettes. Je pourrais le comprendre. J'ai laissé ton père et ton frère, le faire, détruire notre semblant de famille. Je me suis tenue si loin de toi si longtemps, bloquée par mes mensonges et une bienséance si artificielle. Je le réalise maintenant que je n'ai plus de temps. J'aurais dû être si proche de toi, de ton frère. Il est trop tard pour changer tout cela.

J'espère juste que tu diras oui, et voudras bien prendre le temps de me voir, de partager quelques instants avec moi ; que tu le feras vite, car le temps m'est compté maintenant. C'est maladroit, je le sais, mais comment le dire autrement. Une terrible maladie me ronge doucement, sournoisement, mais implacablement depuis longtemps.

Je désire aller au-delà de ce qui nous sépare, rattraper le temps. Veux-tu bien me laisser être proche de toi ? Veux-tu m'aider à passer de l'autre côté sans trop de regret ? Si oui, rejoins-moi à l'adresse au dos de cette lettre. Je t'attendrais jusqu'à la fin.

Celle qui sera à jamais ta maman.

Marie-Clotilde Montfort-Martens

Je relis une première fois, puis une deuxième, et une troisième. J'ai besoin d'assimiler la masse d'information qui se cache derrière l'encre qui a bleui la feuille. Ce week-end est un véritable cauchemar ! Je regarde l'heure, il n'est pas si tôt, peut-être que... !

Je bondis, je cherche mes papiers et mes clefs, les attrapes au vol. Où est-il cet hôpital de malheur ? Un taxi sera plus rapide. J'ouvre la porte, un corps s'effondre à mes pieds. Coupant ma réflexion.

Thomas est là, penaud et las. Il lève son regard vers moi, ses yeux quémandent mon pardon tel un chiot. Il commencer à remuer les lèvres, je l'arrête immédiatement d'un geste. Je n'ai pas le temps ni la force, de l'entendre s'excuser à nouveau.

— Plus tard ! Je dois partir. Maman est...

Je ne termine pas ma phrase. Qu'en a-t-il à faire ? Rien ! J'entre dans l'ascenseur, réclame le rez-de-chaussée. Je m'adosse au miroir pour commander un taxi sur mon téléphone, pas de temps à perdre. Les portes vont pour se renfermer quand Thomas s'y engouffre à ma suite.

Je peste, je râle, je ronchonne, pas de véhicule disponible avant plus de trente minutes. Je passe sur l'autre application, ce n'est pas mieux. Le métro, c'est trop long...

— Qu'est-ce qu'il faut faire pour avoir un moyen de transport rapide dans cette ville, finis-je par lâcher à haute voix sans m'en apercevoir.

— Je peux t'emmener en deux-roues ! propose Thomas.

Veut-il troquer mon pardon par un service ? Sûrement, et je n'aime pas ça.

— De quoi je me mêle !

— C'est de ma faute ! plaide-t-il.

— Si je t'ai jeté dehors oui, c'est clair ! marmonné-je. Si c'est d'elle dont tu parles, non, c'est la vie.

— Je veux t'aider ! C'est le moins que je puisse faire pour me faire pardonner.

— Pour le pardon, on verra. Mais j'ai besoin de la voir, je n'ai pas besoin de toi autrement que pour y aller à l'hôpital rapidement. Compris ?

— Compris !

La porte s'ouvre, Thomas sort et je le suis jusqu'à ce que j'espère être un scooter. Pourvu que ! Oh flûte ! C'est une moto énorme et sombre. C'est racé, terrifiant et japonais, pas une de ces Harley tout en chromes rutilant, ni une de deux-roues allemands qu'il y a beaucoup sur le campus du côté du parking des enseignants. J'appréhende un peu de monter sur ce truc imposant. Il me tente un casque noir caché dans une des cases sur les côtés. Il enfile sa copie exacte.

— Prêt ?

Je joue maladroitement avec l'objet, le passant d'une main dans l'autre.

— Non, mais je n'ai pas le choix. Des consignes ?

— Accroche-toi à moi et suis le mouvement. N'anticipe rien, ne force rien.

Il démarre, c'est bruyant. Ça file vite, c'est rapide faut le reconnaître. L'engin se faufile entre les voitures, c'est effrayant. Je me serre plus fort contre lui. J'aimerais dire que me tenir ainsi contre lui, ne me fais rien. Cependant, je ne peux pas, car je ne suis pas un menteur. Sentir ses abdominaux sous mes doigts, c'est rassurant. Me laisser aller contre son dos, c'est réconfortant.

PEM, tu ne dois pas te laisser à ça.

Le temps s'écoule bizarrement. Je pensais que ça serait long, mais nous sommes déjà arrivés. Est-ce la présence de Thomas ou le fait que je vais revoir ma mère après si longtemps ? La moto s'est arrêtée devant l'entrée avant que je puisse me décider. Je pose les pieds à terre et descends un peu engourdi, étourdi. Il soulève la visière de son casque et me regarde tandis que j'enlève le mien. Je lui tends. Je ne sais quoi dire à part un simple merci alors je le fais.

— De rien ! Tu veux...

Je ne peux pas le laisser me proposer plus. Je le stoppe d'un geste. Je ne peux pas lui reprocher d'essayer de conquérir mon pardon. Je lui souris timidement et il me le rend doucement, ses yeux pleins d'attente. Je vois bien qu'il est sincère et qu'il regrette ce qu'il a fait. Cependant, je ne peux pas faire le premier pas.

— Ce n'est pas le moment. Peut-être plus tard !

Je lui donne... Non, je me reprends mentalement. Je nous donne un peu d'espoir. Ma crise de colère est-elle passée ? L'ai-je pardonnée ? Je ne sais pas encore. Est-ce bien ou pas ? On verra, il faudra du temps en tout cas pour moi. Je le salue et pars vers les portes automatiques qui s'ouvrent quand je m'approche. Quand elles se referment, je jette un coup d'œil à l'arrière discrètement. Je suis soulagé que Thomas ne soit pas parti rapidement. Il est là qui m'observe.

Je suis prêt à revoir la personne la plus importante de ma vie. J'avance.

En toute franchise [MxM]Where stories live. Discover now