Chapitre 7

108 10 1
                                    

J'erre dans ce couloir interminable, je n'aime pas entre cette odeur de désinfectant et cette surabondance de blanc et de bleu. C'est froid, presque glacial. Ce parfum de détergent m'assaille et me renvoie à mes quatorze ans quand j'étais tombé ivre dans la fontaine du domaine en rentrant en douce de nuit. Souvenir fort désagréable des conséquences de ma première soûlerie entre copains. J'avais voulu faire comme les autres, abusant de l'alcool pour avoir le courage d'embrasser Marie-Cécile devant tous les autres alors que c'était de son jumeau Pierre-Denis dont je rêvais chaque nuit. C'était la dernière fois que mon frère en avait été un pour moi. Charles-Xavier m'avait sortie de là sans rien dire et avait veillé sur moi toute la nuit. Après, cela avait été terminé, mon aîné avait eu honte de moi de ce que j'étais. Mes délires d'ivrogne, lui avaient permis d'additionner deux plus deux et de comprendre que nous ne serions jamais semblables. Je ne serais jamais un petit double séducteur le cherchant comme modèle. Ce triste rappel ne fit qu'attiser mon mal-être.

Voilà j'y suis, derrière cette porte, se trouve ma mère. A-t-elle beaucoup changé depuis la dernière fois que je l'ai vu ? Avait-elle toujours cette beauté froide et un peu hautaine qui la caractérisait ? Madame Monfort-Martens avait des faux airs de Catherine Deneuve, d'après la presse mondaine, avec son carré blond plongeant avec un regard bleu trop clair caché derrière des lunettes noires qui lui donnaient un côté sévère. Pour moi, son visage était tout le temps trop pâle, trop lisse, trop maquillé. Elle était constamment trop apprêtée, rien de spontané, toujours en représentation, voilà les souvenirs que j'en avais. Les changements n'étaient faits que de ses vêtements, tailleurs sombres, parfaites petites robes noires. D'elle, personnellement, je ne savais pas grand-chose, finalement à part son goût prononcé pour les fraises et les meringues, les pivoines et les roses qui dominaient notre jardin. Avait-elle des passions comme les mères de mes amis actuels ? Comme l'équitation, la peinture, la couture, la lecture, le tricot ? Je songeais à elle se démenant avec des aiguilles et des bobines de laines pour obtenir un pull comme Pascaline, ma voisine qui m'en offrait à chaque Noël. Non ce n'était pas possible ! Finalement, je ne connais rien de celle qui m'a mis au monde, constat amer en soi.

Mes amis serraient leur maman dans leurs bras, elles avaient des gestes tendres avec eux malgré leur âge. Chose que je n'avais jamais eu en public. Je n'aimais pas cette main chargée de bagues qui frôlait ma joue quand j'étais malade et qu'elle s'informait de mon état auprès de la nourrice ou de la gouvernante sans me parler. C'était froid et impersonnel. Je ferme les yeux et chasse ce vilain souvenir qui me freine.

Je me rappelle à l'ordre. C'est Mère ! La mienne, la seule que j'ai, loin d'être parfaite, peu maternelle, mais elle m'avait mis au monde. Elle m'avait prouvé son affection avec ses mots bleus. Non ?

Je suis devant cette porte. Ma bonne éducation se rappelle à moi. Qu'aurais-je pu lui apporter comme présent ? Merde ! Je regarde mes mains et je n'ai rien pris à offrir. Pas de cadeaux, aucun bouquet de fleurs, ni de bonbons, ni de magazines, tous les genres de trucs qu'on trouve dans la boutique à côté de l'accueil, celle dont je suis passé en trombe devant, impatient et maintenant je le regrette. Il est trop tard de toute façon.

Je pousse la porte et je plonge vers cette grande inconnue qui m'attend.

Est-ce vraiment ma mère, cette personne fragile qui regarde par la fenêtre l'air perdu ? Je ne la reconnais pas, je n'ai jamais vu cette expression mélange d'inquiétude et d'incertitude sur le visage. Où était-elle la femme sûre d'elle à qui tout le monde obéissait ? Très loin, il semble. Tellement que je n'ose pas la déranger. J'ai presque envie de faire demi-tour et de partir en courant. Je ne suis plus que contradiction. Avancer et me signaler ou reculer et couper les ponts, quel que soit mon choix il sera important, je le sais. Je suis trop prêt pour fuir. Je toussote doucement pour qu'elle repère ma présence.

— Pierre-Emmanuel !

Ce cri du cœur, ces yeux pleins de larmes, ses bras tendus m'accueillent et effacent ses années d'éloignement, mais pas aussi bien que ce câlin que nous échangeons. Le premier dont je me souviens.

— Maman !

Ces mots sortent pour la première fois spontanément de ma bouche, pas de ce « mère » si distant qu'on m'avait appris à lui dire dès mon plus jeune âge. Ce n'est pas Marie-Clotilde Monfort-Martens que je serre dans mes bras pour une fois, mais celle que je veux avoir une mère dans le sens le plus noble du terme.

Pendant ce qui me semble une éternité, nous bafouillons, aucun de nous ne trouve les mots ou le courage de mettre fin à ce moment. Nous profitons simplement de nos retrouvailles. Je ne vois rien, je ressens seulement notant mille détails dans mon cerveau. Son parfum aux senteurs de pivoines, ses cheveux qui ne sont plus les siens, sa peau si douce sous mes doigts, sa chaleur, son étreinte qui m'apaise et me rappelle celles que me donnait Thomas. C'est donc ça le réconfort qu'apporter l'amour. Un point d'ancrage vers lequel se tourner quand tout va mal et enfin se sentir à l'abri.

En toute franchise [MxM]Opowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz