19. Le dépressif antidépresseur

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“Je me retournai à demi et le vis pour la première fois. Quand nos regards se croisèrent, je me sentis pâlir. Une étrange sensation de terreur s’empara de moi. Je sus que je me trouvais face à quelqu’un dont la personnalité était en elle-même si fascinante que, si je laissais les choses aller leur cours, elle absorberait tout mon être , toute mon âme, et jusqu’à mon art.”

Oscar Wilde

L’amour était une fleur qu’Elizabeth n’avait jamais osé caresser, avant lui. Elle avait senti le parfum d’une fleur ou deux durant sa jeunesse florissante, mais jamais elle ne s’était permise de les arracher. 

Avec lui, ça avait été différent. Avec lui, tout l’était, jusqu’à sa propre conception de ce sentiment consumant qu’ils aimaient appeler amour.

Elle ne l‘avait pas arraché. Elle avait posé sa main près de lui, la paume tendue vers le ciel, et il avait sauté dans cette dernière comme l’aurait fait un homme perdu à la mer. Alors, elle avait refermé ses petits doigts et l’avait emporté avec elle. Si le lendemain elle éprouvait le besoin de quitter son Angleterre natale pour retrouver sa famille en France, elle savait qu’il la suivrait. Toujours.

Peu importait le chemin emprunté ou bien les blessures à panser, sa petite fleur ne quitterait pas sa main. Elle lui avait déjà donné mille et unes raisons d’abandonner le navire et pourtant, chacune de ces raisons semblait motif d’amour nouveau. Ses pétales étaient si doux, son souffle si chaud, ses bras si bons.

« Un jour, tu deviendras une brillante écrivaine. Le Times et même le New York Times... Tu feras la une des plus grands journaux. À moins que tu ne deviennes le personnage principal d’une merveilleuse histoire ? Je frémis d’impatience à l’idée d’apprendre à connaître cette femme que tu seras dans quelques années. Parce que je sais déjà que je serai fier d’elle.

— Le personnage principal d’une merveilleuse histoire ? De quoi traiterait-elle ?

— D’inclinaison ? De floraison ? D’amitié ? De maturité ? Non, je sais ; d’une jeune et ravissante femme bien plus forte qu’elle ne le pense. Si j’en étais l’auteur... Si j’en étais l’auteur, je serais probablement un peu sadique, avait-il rit en délaissant ses copies pour la regarder, allongée sur son lit, coucher des vers qu’il ne savait lire. Allons, ne me regarde pas ainsi, je ne t’ai jamais caché mon amour pour Shakespeare. Disons que je la ferai démarrer saturnienne. Taciturne. Prude. Ce serait une enfant qui essaierait de devenir femme avant l’heure. À moins... À moins que je ne la rende femme et désireuse de retrouver son enfance ? Cela n’a que peu d’importance. Où en étais-je ? Ah oui, mon héroïne. Elle se penserait probablement perdue à jamais. Mais alors, elle rencontrerait un homme qui...

— La sauverait ? C’est un cliché vraiment, vraiment très cliché, Ethan, s’était-elle moquée de lui.

— Les femmes n’ont pas besoin qu’un homme ne les sauve, Elizabeth. Non, la chose, telle que je la conçois, est que cet homme se tiendrait à ses côtés, de la première majuscule de ce roman, jusqu’à son dernier point. Il serait sa meilleure force et sa meilleure faiblesse. Son arme la plus aiguisée, mais aussi sa défense incontestée. La dague, et la rose. Il la regarderait chuter, parce qu’elle chutera forcément, mais il la regarderait aussi reprendre des forces. Il lui rappellerait que demander de l’aide n’est pas une honte et que la vie est un cadeau. Que c’est la raison pour laquelle l’on appelle le moment vécu, l’instant présent. Il lui tiendrait la main avec la fierté d’un père qui regarderait sa fille faire ses premiers pas, la protection d’un grand frère qui lui éviterait les chutes les plus douloureuses, l’affection d’un meilleur ami qui n’hésiterait pas à chuter à ses côtés pour mieux l’aider à remonter, et l’amour d’un futur époux qui la porterait vers le haut. Toujours. Ce serait une belle histoire. Une histoire sur la vie et la mort, peut-être plus encore que sur l’amourPourquoi souris-tu ? Ai-je dit quelque chose de déplacé ?

Rendez-vous salle 209 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant