4. Essayer d'arrêter d'essayer

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Je sais que tu as peur, mais avoir peur est une bonne chose, parce personne ne t'a jamais dit que la peur est un super-pouvoir. La peur peut te faire aller plus vite, te rendre plus intelligent, et plus fort. (...) La peur ne doit pas te rendre cruel ou lâche. La peur peut te rendre gentil. (...) La peur est comme un compagnon, un compagnon permanent, toujours présent. Mais c'est une bonne chose, car la peur nous rassemble. La peur peut te ramener chez toi.

Doctor Who.

Elizabeth était issue d’une famille aisée, si l’on en omettait le poids de son infortune. Jamais elle n’avait porté de vêtements trop petits, ou d’uniformes mal ajustés, jamais l’on ne l’avait aperçue le visage barbouillé, si ce n’avait été plus jeune d’un peu de peinture. Jamais son ventre n’avait connu la famine, ni même gargouillé. Jamais, enfin, elle n’avait été malade sans qu’un médecin ne se soit tenu à son chevet.

Son éducation n’était plus à faire, seulement à parfaire ; ses manières quant à elles, si elles étaient douces et tant les bienvenues que bienveillantes, la vieillissaient. Bien qu’elle ne fusse encore qu’une enfant, certes, proche d’âge de celles qui déjà enfantaient, elle avait en elle un quelque chose d’unique que l’on ne retrouvait que chez les mères. C’était, entre bien d’autres choses, l’une des raisons qui l’avait tristement poussé à l’aimer, dès lors qu’il avait posé les yeux sur elle.  

Lorsque l’on prononçait son nom, un peu partout dans le petit village qu’était Wibstorm, l’on mentionnait presque inévitablement son amour pour les mots, sa chevelure d’une teinte intermédiaire, ni réellement rousse, ni réellement faite d’or, et sa phraséologie curieusement élégante qui élevait, aux yeux du jeune professeur, la grande enfant au rang de petite femme, petite prodige, petite prouesse, petite poète.

Alors, lorsqu’il la trouva ce soir-là, à l’heure où les plus larges aiguilles des quatre faces de Big Ben allaient pointer en direction du douze, au cœur de la soirée où il avait été convié quelques semaines plus tôt, ses pensées ne purent aller qu’en sa direction, semblables aux papillons qui battaient de l’aile en direction d’un feu. Petite fille aux allumettes qui mourrait de froid, elle n’en demeurait pas moins sa source de chaleur. Pour elle et envers elle, il ne cesserait de battre de l’aile.

À l'instar des minutes qui défilaient, les invités s'en allaient. Lui, riait avec un ami d'un vieux souvenir venu se loger sans raison précise dans leurs esprits. Le souvenir pourtant, n’était plus tout à fait aussi drôle qu’il avait pu l’être d’antan. Il n’y pouvait rien, il devait garder un œil sur elle. Elle, qui s’enivrait joyeusement triste et tristement joyeuse. Elle, que l’on avait placée juste sous ses yeux, sur ce balcon.

Attendait-elle son Roméo ?
Non, Elizabeth n’attendait pas son Roméo. Elizabeth, ce soir-là, n’avait qu’un seul souhait ; celui de passer une agréable soirée. Ni plus, ni moins. Elle n’avait pas de couvre-feu imposé, et n’avait que faire de savoir si son carrosse allait ou non redevenir citrouille. 

— Oy, 'than ? Tu m'écoutes ?

— Excuse-moi, Johnny. Tu disais ?

Près de la rambarde, ses hanches doucement ondulaient au rythme de ses pensées et aux mélodies insensées qu’elle seule entendait. À danser ainsi, perdue dans son monde, les paupières closes, elle donnait au professeur l'impression de poser nue, bien qu'habillée. Elle ressemblait à une fée.

Un tableau qu'il ne savait peindre se dressait sous ses yeux, et il n’était en droit que de l'admirer. Si Sherlock Holmes usait de l’analyse de détails insignifiants pour résoudre quelque affaire d’état, alors soit. Ethan en ferait de même. Il se mit lui aussi à relever les petits détails qui faisaient d’elle celle qu’elle était, les indices qu’elle seule savait traduire. Le verre à moitié vide dans sa main droite. Le noir de sa toilette. Le blanc de sa peau. Le vent qui s'embourbait dans ses cheveux roux pour les parsemer sur un visage épuisé. Les étoiles. Ses frissons. Dieu, qu'elle devait avoir froid. Mais Bon Dieu, qu’elle était belle.

Rendez-vous salle 209 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant