48. Que jeunesse se passe

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"Aucun monument ne sera élevé à ma mémoire, et mon nom sera vite oublié. Mais j’ai aimé un être de tout mon cœur, de toute mon âme. Et, pour moi, cela suffit à remplir une vie. Les esprits romanesques considéreront cet amour comme une magnifique histoire, les cyniques comme une tragédie. Pour moi, c’est un peu des deux.” 

Nicholas Sparks

Oh ! Que voilà un noble esprit bouleversé ! L’œil du courtisan, la langue du savant, l’épée du soldat ! L’espérance, la rose de ce bel empire, le miroir du bon ton, la moule de l’élégance, l’observé de tous les observateurs ! Perdu, tout à fait perdu ! Et moi, de toutes les femmes la plus accablée et la plus misérable, moi qui ai sucé le miel de ses vœux mélodieux, voir maintenant cette noble et souveraine raison faussée et criarde comme une cloche fêlée ; voir la forme et la beauté incomparable de cette jeunesse en fleur, flétries par la démence ! Oh, malheur à moi ! Avoir vu ce que j’ai vu, et voir ce que je vois ! récita Elizabeth devant quelques centaines d'hommes et de femmes ébahis.

Madame Bardle n’avait pas menti, le rôle d'Ophélia semblait avoir été imaginé pour elle, et seulement pour elle. Il lui seyait comme le plus élégant des gants et il fallait le reconnaître, elle resplendissait dans cette longue robe blanche, ses cheveux noués en une admirable tresse.

L’amour ! reprit l’un de ses camarades. Non, son affection n’est pas de ce côté-là ; non ! Ce qu’il disait, quoique manquant un peu de suite, n’était pas de la folie. Il y a dans son âme quelque chose que couvre sa mélancolie ; et j’ai peur de voir éclore et sortir de l’œuf quelque catastrophe. Pour l’empêcher, voici, par une prompte détermination, ce que j’ai résolu : Hamlet partira sans délai pour l’Angleterre, pour réclamer le tribut qu’on néglige d’acquitter. Peut-être les mers, des pays différents, avec leurs spectacles variés, chasseront-ils de son cœur cet objet tenace sur lequel son cerveau se heurte sans cesse, et qui le met ainsi hors de lui-même... Qu’en pensez-vous ?

Ce sera bien vu, surenchéri un autre membre de la troupe. Mais je crois pourtant que l’origine et le commencement de sa douleur proviennent d’un amour dédaigné... Eh bien, Ophélia ! Vous n’avez pas besoin de nous répéter ce qu’a dit le seigneur Hamlet : nous avons tout entendu... Monseigneur, faites comme il vous plaira ; mais si vous le trouvez bon, après la pièce, il faudrait que la reine, sa mère, seule avec lui, le pressât de révéler son chagrin. Qu’elle lui parle vertement ! Et moi, avec votre permission, je me placerai à la portée de toute leur conversation. Si elle ne parvient pas à le pénétrer, envoyez-le en Angleterre ; ou reléguez-le dans le lieu que votre sagesse aura choisi.

Il en sera fait ainsi : la folie chez les grands ne doit pas aller sans surveillance. 

Depuis les coulisses, Madame Bardle servit à sa vedette une tasse de thé, auquel vint tenir compagnie le flacon que lui avait dûment confié Ethan. 

— Ton interprétation ne laisse pas sans voix le public, souligna-t-elle en lui peignant les cheveux alors que la concernée glissait sur sa langue le remède miracle.

— Merci de ne pas m’avoir laissée vous dire non, répondit-elle simplement en la regardant au travers du miroir éclairé. Madame ? J’aimerais pouvoir repartir avec ma robe, si vous me le permettez. Quand j’étais à Teaghlach et que j’ai joué Wendy, j’ai pu garder mes habits, et quand je dansais, là encore je les gardais, alors je me disais que peut-être...

— C’est d’accord.

— Vraiment ?

— Vraiment, Elizabeth. Je ne vois aucune raison de rejeter ta requête, alors si tu veux repartir avec tes habits, soit. Repars avec. Je mets néanmoins un point d’honneur à te revoir dans le futur. Je veux entendre parler de toi. Il me faudra davantage qu’une représentation pour être rassasiée.

Rendez-vous salle 209 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant