CINQ ; SECOURS

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- Harper ?

La blonde est allongée sur le ventre sur la table d'opération à la gauche de la mienne. Le visage coincé dans la têtière, je ne peux reconnaître mon amie que par sa voix. Ses supplications m'ont brusquement sortie de mon inconscience.

- Harper, c'est toi ?

Je tente de me lever, des entraves me tenant attachée à la table. Des bruits de pas se font de plus en plus fort. Je vois les pieds de la doctoresse Tsing en face d'Harper.

- Non, non s'il vous plaît ! Geint-elle, terrifiée.

- Calmez-vous. La hanche est la partie du corps humaine possédant le plus de moelle osseuse. Vous ne sentirez rien.

La blonde hurle. Le scalpel de la doctoresse doit avoir pénétré sa hanche. Pas question que je reste à côté d'elles sans rien faire, à écouter mon amie se faire torturer.

- Non ! Prenez-moi en premier !

Les gémissements d'Harper cessent. Elle retient son souffle. Tsing va-t-elle faire preuve de compassion ?

Je me redresse du mieux que je le peux, apercevant la femme de dos. Elle hésite, et je sais qu'Harper prie. Si je peux retarder sa souffrance, peut-être gagner suffisement de temps pour que les secours débarquent...

- Si vous ne désirez.

Je réussis à poser ma joue contre la table, face à Harper. Mon amie a fait de même et me fixe de ses yeux remplis de larmes.

- Merci. Articule-t-elle, tremblante.

Je lui répond d'un signe de tête avant de mordre ma lèvre inférieure, réprimant un cri de douleur. La doctoresse entaille ma hanche droite. Plus Tsing va loin dans mon opération, plus je me demande si l'on va bel et bien venir nous chercher. Si c'est le cas, mon sacrifice n'aura strictement servi à rien.

_______

Je ne sais pas depuis combien de temps suis-je enfermée dans cette cage. J'ai compté seize repas, et j'ai dormi presque tout le temps. L'épuisement est un symptôme habituel. Cela doit faire une dizaine de minutes que je suis éveillée. Harper est de retour dans la cage à ma gauche. Elle avait disparu depuis... quelques heures ? Tout du moins depuis un bon moment. Mes doigts aggrippent les barreaux et les secoue légèrement, espérant ne pas me faire repérer.

- Harper ! Harper, parle-moi !

Sa tête bascule dans ma direction. Si je ne la distrais pas, elle tombera de fatigue. Combien d'opérations ont-ils pratiqué sur elle ? J'ignore si mon amie en supportera une de plus.

- S'il te plaît, je sais que c'est beaucoup te demander Harper, mais reste avec moi. D'accord ?

Elle entrouvre la bouche et respire profondément. Ses yeux se ferment tout seuls, la blonde ne tiendra plus très longtemps. Elle laisse dépasser sa main de sa cage. Je tend le bras et la lui presse, espérant la garder éveillée.

- Chante pour moi. Souffle-t-elle.

Chanter ? C'est ce que je faisais sur l'Arche lorsqu'un prisonnier s'apprêtais à être exécuté. Est-ce vraiment ce qu'elle veut ? Perdre espoir de la sorte, alors que l'illusion qu'on va voler à notre secours est ce qui nous garde en vie ?

- Non. Non, Harper, tu ne vas pas...

- Koda...

Son teint pâle s'illumine dans la lumière bleutée. Si Harper doit mourir, alors je me dois de respecter sa requête. Je déglutis péniblement, inspire une grande bouffée d'air et entame un air que mon père fredonnait lorsque ses larmes se mêlaient à sa gnole.

- I'm waking up, to ash and dust and I wipe my brow and I sweat my rust. I'm breathing in the chemicals.

Je prend une longue inspiration et expire bruyament comme mon géniteur le faisait autrefois. Sa poigne se fait plus forte.

- I'm waking up, I feel it in my bones enough to make my systems blow.

Puis soudainement, sa main lâche entièrement sa prise sur la mienne. Le souffle coupé, je pose un doigt sur l'intérieur de son poignet en fermant les yeux. Faites que ce ne soit pas arrivé. S'il vous plaît, je ne le supporterais pas. Son pouls cogne contre mon doigt, Harper est encore en vie. Elle a simplement perdu connaissance sous la fatigue et la douleur. Je garde sa main dans la mienne et m'adonne moi aussi au sommeil. Peut-être mourrais-je inconsciente, cela m'empêchera de ressentir la moindre douleur.

______


- Koda ? Hé, Koda !

Des doigts sont aggripés à la grille, des yeux marrons me fixant désespérément. Sa tête à claque me donne immédiatement envie de le gifler. Jasper ouvre ma cage et me prend dans ses bras, m'évitant de me tenir debout. De toute façon, j'en serais incapable.

- Je suis désolée Jasper, désolée...

- C'est moi qui suit désolé. Tout va bien, Monty et Harper sont libérés aussi.

Le président Wallace est entrain de passer un sacré savon à Tsing et aux infirmiers. Je sais que ce n'est pas encore terminé, mais je laisse Jasper m'escorter jusqu'au dortoir. Un garde tente de nous aider, et je le reconnais immédiatement : c'est un des soldats qui m'a traîné dans ce couloir froid, ignorant mes longs cris de supplications. Je lui donne un coup de coude semblable à celui qu'il m'a affligé plusieurs jours plus tôt.

- Trou d'balle...

Au moins, nous voilà tirés d'affaire pour un bout de temps. Une fois au dortoir, Miller prend le relais et m'aide à m'allonger sur l'ancien lit de Clarke. Elle ne doit pas être revenue. Harper est sur la couchette voisine. Je tend la main vers elle. La blonde saisit ma main comme nous l'avons fait quelques jours auparavant.

- C'est fini ?

- Je l'espère.

(2) PARADISE | j. murphyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant