8-At first sight

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FLASHBACK

Henry

Je rangeais les exemplaires de Locke & Key dans le bon ordre. Les gens qui venaient ne se souciaient pas de remettre les choses à la bonne place. J'avais l'habitude, mais la saga Locke & Key était une de celles que j'appréciais le plus.

Travailler dans une librairie quand on adore lire, c'est vraiment génial.

Jusqu'à ce qu'on doive ranger le bazar des visiteurs, qui s'en fichent totalement d'où ils laissent ce qu'ils n'achèteront pas.

-Quels crétins, sifflé-je entre mes dents.
-Du calme, petit, fait mon oncle qui m'a entendu. Les gens sont comme ça, et tu ne les changeras pas.

-Je veux pas les changer. Je veux qu'ils ne se pointent plus ici.

Il a rigolé.

-J'espère que ton vœu ne s'exaucera pas. Je n'ai pas envie de mettre la clef sous la porte.

Je soupire. Je ne devrais pas être autant en colère. Le carillon de la porte de la librairie a teinté. Nouveaux clients. Je ne leur ai pas jeté de coup d'œil, mais j'ai deviné au bruit qu'ils faisaient, qu'ils étaient deux. Encore des parasites, pensé-je. J'ai soulevé le carton de livres sur le comptoir en jetant un regard à mon oncle qui essuyais ses lunettes.

-Eh oui. Le monde n'est pas une usine à exaucer les vœux, dis-je, amer.

C'est à ce moment-là que j'ai senti un mouvement dans mon dos.

-John Green !

J'ai sursauté. Puis je me suis retourné. Devant moi, un garçon aux cheveux presque châtain en survêt' Lacoste se tenait, avec son pote qui ne cessait de jeter son regard de fouineur partout. Mais le mien de regard, était cloué sur celui sur celui du garçon, qui avait des yeux d'une couleur que je n'avais jamais vue avant. Ils étaient dorés. J'en suis resté pantois. Je n'arrive même plus à me rappeler ce qu'il m'a dit. Il a fini par baisser le regard, puis a continué :

-John Green. Ce que tu viens de dire : "le monde n'est pas une usine à exaucer les vœux''. C'est dans nos étoiles contraires, non ?

Je n'arrive même plus à articuler quoi que ce soit, toujours sous le choc. Vous imaginez que je n'arrive pas à bouger, juste parce qu'il a des putains de yeux dorés ? Je dois être devenu paralytique. Ou complètement fou.

-Ma sœur m'a forcé à le lire, mais je dois avouer que c'est plutôt pas mal.

Je crois que je commençais légèrement à lui faire peur avec mon silence, mais les muscles de mon visage refusaient toujours de fonctionner. Quelle galère !

Puis son pote nous a sorti de cette situation bizarre.

-Aidan, bouge-toi ! s'est-il énervé. On a compris que t'étais un putain de Molière. Maintenant, achète ton bouquin et on se barre.

-La ferme, Jordan, s'est révolté à son tour le garçon.
Puis, comme il a vu que je ne réagissais toujours pas, il est parti dans les rayons prendre son livre, puis est revenu à la caisse le payer. C'était Orgueils et Préjugés.

Et lui et son Jordan sont partis, sans même me jeter un dernier regard.

J'ai réalisé que je tenais toujours le carton dans mes mains, et que je ne sentais plus mes bras. Je l'ai lâché sur le comptoir, encore sonné.

-Qu'est-ce que c'était, fiston ? m'a demandé mon oncle.

Je n'ai pu que hausser les épaules.

Ce soir-là, une fois rentré chez moi, je me suis senti tellement bizarre, tellement étrange que je n'ai pas touché à mon assiette.

-Qu'est-ce qui t'arrive ? m'a demandé Marie-Lou, qui remarquait tout le temps la moindre anomalie. T'es amoureux ou quoi ?

Je n'ai pas eu le temps de nier que mon oncle s'incrustait déjà dans la discussion.

-À ce qu'il parait.

-Ah, et c'est qui ? s'est-étonnée Marie-Lou.

-Un garçon qui est venu dans la boutique tout à l'heure.

Et ils ont continué à parler de moi comme si je n'étais pas là. Au fond de moi, je voulais me défendre et me révolter. Je ne croyais pas un mot de ce qu'ils disaient. En même temps, leur familiarité me déconcertait. Ils avaient accepté tous les deux, que je puisse aimer, a la fois les filles et les garçons. Mais je n'aimais pas en parler avec eux. Pas du tout. C'était gênant.

Lou a essayé de m'inclure dans leur discussion.

-Eh, Henry ! Il est mignon, alors ? s'est-elle moquée.

J'ai répondu, mais à l'intérieur de moi.
Non, il n'était pas mignon. Il était putain de fucking sexy, j'ai envie de pleurer, Lou.

Ma famille a commencé à comprendre que j'étais réellement atteint.

-Mon Dieu, Henry, t'es vraiment amoureux ?
Quoi de pire que de parler de ça avec sa grande sœur ? Mais j'ai joué le jeu, sortant de mon mutisme.

-..Je crois pas. Je l'ai vu qu'une seule fois en plus et...

J'ai levé les yeux. Marie-Lou regardait mon oncle. Personne ne me croyait.

*

Il fallait que je prenne mon courage à deux mains. C'est tout. Mon oncle n'arrêtait pas de me jeter des coups d'œil d'encouragement, des signes tellement peu discrets que j'avais envie de hurler.
Le garçon était revenu. Et seul cette fois. C'était ma chance.

Je me suis faufilé entre les rayons pour le retrouver, et l'ai aperçu les mains dans les poches, devant la partie dédiée à Stephen King.
-Tu cherches quoi ? lui ai-je demandé (en espérant que ma voix ne foirait pas tout).

À ma grande surprise, il a haussé les épaules.

-J'en sais rien.

J'étais frappé de stupeur. Je pensais que la fois où il était venu hier, c'était uniquement pour l'école. Est-ce que par le plus grand des hasards, ça pourrait être possible qu'il aime lui aussi lire ? J'ai essayé de me raisonner. Mais rien à faire, mon cœur s'était déjà balancé tout seul.

-Tu veux que je te conseille un truc ? ai-je tenté.
Ses yeux dorés sont revenus vers moi. Il a esquissé un sourire puis hoché la tête. Je n'en revenais toujours pas qu'on puisse être aussi beau. J'ai pris quelque chose que je pensais qu'il allait aimer.
Le comics le plus cher à mon cœur : Punisher de Becky Cloonan et Matt Horak.

Je le lui ai tendu.

-Du Marvel, hein ? s'est-il enquis.

-Pas seulement. C'est ça le talent, quand on en vient à oublier la renommée d'une saga ou de tout un univers pour se concentrer uniquement sur l'histoire.

-Je parie que t'en as des milliers de citations comme ça, a-t-il souri.

J'ai souri à mon tour. Il a regardé la couverture de Punisher puis a tendu la main vers moi, sûrement pour me dire son nom. Je l'ai devancé.

-Je crois bien avoir déjà retenu ton nom, Aidan. Moi, c'est Henry. Et la réponse est oui, il s'agit bien de John Green.

Et ça a été à son tour d'être bouche bée. Je pense que pour l'impressionner, je l'avais impressionné.

Comment pouvais-je imaginer, à partir de là, tout ce qui allait suivre ?

Mortal Venom TOME 2Where stories live. Discover now