Quand tu dors

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   La nuit était aussi chaude que le jour pourtant j'avais gardé ma couverture autour de moi, comme protection contre des fantômes inexistants. J'entendais malgré moi son souffle calme et profond, sa respiration régulière. J'imaginais ses poumons se soulever au gré de l'air qui passait à l'intérieur. Ils gonflaient et se dégonflaient, ballons de baudruche dans sa poitrine découverte. Dos à lui, j'écoutais le ronronnement de ses songes, que j'espérais heureux dans le sommeil profond qui l'avait pris. Pieds posés contre les siens, recroquevillée sur moi-même, je calquais au mieux ma respiration avec la sienne. Cela semblait de prime abord la méthode la plus efficace pour m'endormir, mais rien à faire ; le sommeil me fuyait.

   N'y tenant plus, je me suis tournée et mon visage s'est retrouvé face au sien, de l'autre côté du matelas fin posé sur le sol. Il a expiré et une vague odeur sucrée a couru jusqu'à mes narines. Mon cerveau embourbé a fini par reconnaître la fragrance de l'alcool avec lequel il avait passé une partie de la soirée. Les courbes de la bouteille dans ses mains  pâles et le liquide fruité qui coulait dans sa gorge brûlée. Le son dans la pièce trop fort pour l'entendre bafouiller, bredouiller, brailler à s'en casser la voix. Mais il n'avait pas l'odeur de ses bouteilles. L'âpreté avait laissé place à des effluves douceâtres.  Je me suis mise à sourire en pensant avec candeur  à son odeur si sucrée quand il dormait. 

   Je me suis rapprochée un peu plus près, juste un peu pour ne pas le réveiller, et j'ai fermé les yeux. Je n'avais pas besoin de le voir. Je savais qu'il était là. Je le sentais, littéralement. Mélangé à l'alcool, il y avait la délicatesse du parfum se dégageant des cheveux sur son visage. Si j'avais passé la main dedans, les aurais-je trouvés aussi doux que sa joue un peu plus tôt? Imprimées sur ma rétine, les photographies fuyantes de sa peau délicate et des frissons sur son dos. Collées au fond de mes paupières comme des affiches du relief de ses bras repliés de part et d'autre de l'oreiller. 

         Douce litanie d'un rêve morne, souvenirs abrutissants s'écrasant au cœur de mon être. Le blizzard qui saccage tout, déchire mes tympans dans le silence, balaie d'un geste mes pensées doucereuses. L'odeur du regret prenant place dans le vide ambiant. Le tissu qui glisse sur son corps endormi ; ce n'était pas lui.    

   Je me suis rapprochée encore un peu, j'ai pris une nouvelle bouffée de sucre et finalement, je me suis endormie, bercée par le remous de mes tourments passés.


Y. ... E.

A travers la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant