Comme avant

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   Et il apparu soudain comme dans un rêve. Lointain, blafard, presque flou. Il était arrivé là par hasard. Âme perdue dans la ville. Il s'était retrouvé devant sa maison et elle l'avait fait entrer. Cela faisait des années qu'il ne l'avait pas vue. Elle qui était si belle malgré les études, son boulot, son stress quasi-permanent. Elle qui avait déjà trop vécu.Elle qui, chaque jour, repensait à lui malgré les années, malgré la distance. Malgré tout. Ils ne s'étaient plus parlé depuis si longtemps qu'il en avait la boule au ventre comme au premier jour.

   « Salut, Matthias. »a-t-elle dit.

   « Salut. »

   Leurs banalités avaient fonctionné un temps, mais elles ne pouvaient plus masquer le gouffre qu'ils possédaient au fond d'eux-même, celui dans lequel l'un des deux tomberait forcément s'il faisait un pas vers l'autre. Ce fut lui qui y plongea le premier. Il attrapa Mélissa par la taille et l'embrassa fougueusement. Il avait besoin de ça pour se sentir en vie. Elle ne ferma pas tout de suite les yeux. Elle hésita avant de poser ses mains sur ses épaules. Elle finit pourtant par lui rendre son baiser et recula en l'entraînant avec elle à l'intérieur de la maison.

   Le trajet jusqu'à la chambre leur sembla durer une éternité. Un dédale de couloirs parsemés de portes à la peinture défraîchie. Comme au bon vieux temps. Comme lorsqu'il la rejoignait ici le mercredi après-midi, quand leurs parents travaillaient. Comme le jour où le père de Mélissa l'avait attrapé par le col de son pull bleu marine, celui qu'il aimait tant,et l'avait plaqué contre l'une de ces portes en lui faisant promettre de ne jamais remettre les pieds ici. Matthias était rentré chez lui, honteux. Il aurait aimé qu'elle le défende ce jour-là.Elle les avait observés, bien à l'abri dans ses vêtements larges de petite fille bien sage. Matthias savait ce qui se cachait en-dessous, ses formes à peine existantes et douces que personne d'autre ne pouvait voir. Mais il n'a rien dit. Il ne s'est pas défendu, lui non plus. Il s'est laissé insulter, traîner dehors.Il s'est laissé humilier pour ses beaux yeux. Ses beaux yeux noisettes qui aujourd'hui l'épiaient avec envie. Comme lors de leur première fois. Il lui avait reparlé depuis, comment faire autrement alors qu'ils étaient dans le même lycée ? C'est en entrant à la fac qu'ils s'étaient définitivement séparés. Elle s'était mise en couple.

   Aujourd'hui, Matthias se fichait bien de savoir si elle avait quelqu'un. Elle et ses cheveux noirs désormais coupés au carré. Ses reins creusés, sa poitrine menue.Ses hanches fines. Elle qui lui avait tant donné. Il avait envie de la redécouvrir après toutes ses années, de la chérir. Comme avant, comme avant. En avait-elle aussi envie ? Il n'osa pas lui poser la question. Il se laissa tomber en arrière sur lui lit,l'entraîna dans sa chute, leurs lèvres scellées. Il se redressa sur un coude et cessa de l'embrasser. Elle haussa les sourcils. Il passa sa main sur la peau halée qui dépassait du crop-top. Ça aussi, ça avait bien changé. Il la caressa en commençant par le haut et descendant vers sa cuisse. Il releva la tête, se mordit la lèvre. Et attendit.

   Il sourit de toutes ses dents lorsqu'elle retira son haut.



***



   Elle reprit son jean de sous la tête de Matthias. Sa poitrine bougeait à peine ; il dormait encore. Elle s'habilla en silence et sortit de la pièce en laissant la port ouverte.

   En soulevant ses paupières, il la vit passer dans le couloir et disparaître dans l'escalier. Il aurait aimé revoir ses cheveux en pagaille, ses yeux rougis par la fatigue,ses yeux qui rougissaient toujours. Oui, il aurait aimé revoir toutes ces petites choses qui la rendaient belle après l'amour. Sauf qu'il se dit qu'il y était peut-être trop habitué. Peut-être qu'il y tenait tellement parce que cette personne était la seule à lui rappeler sa vie d'avant, que ces ébats étaient la graine qui faisait naître dans son cœur les fruits d'une existence sans tracas. Comme avant, comme avant. Ses yeux avaient toujours rougis.Il ne se releva pas tout de suite. Il attendit que le sommet de son crâne disparaisse complètement dans l'escalier pour pousser la couette d'un coup et poser ses deux pieds au sol. Assis sur le lit,il se frotta le front. L'écran digital du radio-réveil indiquait 12h48. Il avait dormi longtemps. Il devrait se dépêcher pour ne pas rater le bus. En remettant ses habits il se demanda ce qu'Anna faisait en cet instant. Si elle saurait.

   Bien sûr qu'elle saurait.

   Les femmes savent toujours.

   Il haussa les épaules en enfilant ses chaussures et ouvrit la fenêtre. L'odeur de sueur ne le dérangeait pas, mais il avait le sentiment qu'il ne devait rester aucune trace de lui dans cette maison. Il se doutait que c'était la dernière fois qu'il venait. Il n'avait pas tenté de rendre ce moment inoubliable, au contraire. Il avait agit naturellement et simplement, comme il aimait le faire. Il s'était rhabillé en prenant soin de ne rien laisser traîner. S'il la recroisait un jour,il ne lui parlerait pas. Au mieux la regarderait-il de loin. C'est la promesse qu'il se fit ce jour-là, dans cette chambre un peu trop féminine pour lui, qui avait vu leurs corps s'entrelacer pendant si longtemps.

   En sortant de la maison ce jour-là,rue l'évêque, cette petite maison aussi blanche que son portail lustré, il n'imaginait pas que la femme qu'il avait cru faite de pierre pleurerait quand elle rentrerait de la boulangerie avec assez de pâtisseries pour deux. Il avait toujours aimé lorsque ses yeux rougissaient à cause de lui ; il se détesterait s'il apprenait que cette fois ce ne serait pas de plaisir, mais de douleur.


   Lui, il entreprenait déjà de remonter la pente du gouffre abyssale dans lequel il avait glissé en embrassant la succube qu'avait été Mélissa lors de leur adolescence. Et de vagues relents de son passé s'écrasèrent contre son visage, identiques aux mercredis après-midi passés sur la route du retour, quand elle n'était plus dans ses bras. Comme avant. Comme toujours.

A travers la pluieWhere stories live. Discover now