UN | "connaître"

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Raleigh et Abbie se connaissaient sans véritablement se connaître. Cela pouvait sembler paradoxal et pourtant c'était un bon reflet de leur relation, comme celle de beaucoup d'autres lycéens. Ils savaient comment s'appelait l'autre, à quoi il ressemblait et quels étaient ses amis. Mais en même temps ils ignoraient tout de leurs goûts, de leurs passe-temps, de leurs rêves et de leurs craintes. Ils ne se croisaient qu'au lycée et même là ils ne s'adressaient jamais directement la parole, tout simplement parce qu'ils n'avaient jamais eu un quelconque intérêt à le faire. Pourtant on ne pouvait dire que les deux adolescents étaient de parfaits étrangers. Abbie et ses amies, en grandes amatrices de potins, savaient tout des sentiments de Raleigh pour Lyndsey et de leur absence de réciprocité. Aussi, elles ne pouvaient s'empêcher de faire des remarques dès qu'elles le pouvaient, des commentaires moqueurs accompagnés de gloussement qui horripilaient tout autant Ralegh que Lyndsey d'ailleurs. Lui faisait semblant de ne pas les entendre, convaincu que réagir serait donner de l'importance à ces filles seulement avides d'attention. Elle, bien plus impulsive, les fusillait du regard à chaque fois et n'hésitait pas à les rabrouer. Après tout son prétendant était quelqu'un de très gentil qui ne méritait pas qu'on se moque de lui, surtout qu'il était bien plus courageux que la plupart des gens : lui assumait pleinement ses sentiments, il n'hésitait pas à les montrer, les exprimer quand les autres niaient, se refusaient à avouer par peur du ridicule. Alors Lyndsey s'énervait, elle se confrontait à la chef de ce petit groupe de filles, du nom de Rebecca, populaire évidemment. Mais celle-ci n'en faisait qu'à sa tête et les autres suivaient. Parmi ces autres, il y avait Abbie.

Abbie faisait pâle figure face à Rebecca ou même Lyndsey. Elle n'avait pas leur prestance, leur charisme, leur capacité d'attraction. Elle n'avait pas non plus ce courage qu'il fallait pour assumer ses idées jusqu'au bout, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Elle n'avait pas leur faculté de leader naturel. Peut-être était-ce parce qu'elle avait peur, peur d'être seule et rejetée. Alors Abbie suivait. Et si, officiellement, cela faisait d'elle une fille appréciée, qui connaissait tout le monde et que tout le monde connaissait, officieusement cela ne la rendait que plus méprisée encore. Leader ou suiveuse, gagnante ou perdante, à chaque fois elle appartenait à la deuxième catégorie et, bien qu'elle le niait vigoureusement à haute voix, elle le savait bien.

Raleigh n'avait donc pas franchement une haute opinion d'Abbie, comme la plupart des gens, sauf que lui ne s'en cachait pas. C'était plus fort que lui, il ne pouvait qu'exprimer ce qu'il pensait. Même quand il ne disait rien, son visage s'en chargeait à sa place. Mais il s'en moquait bien, au fond, puisqu'il n'avait rien à voir à avec elle et elle n'avait rien à voir avec lui. Qu'ils s'adorent, se détestent ou s'ignorent cela ne changerait rien : leurs vies étaient deux droites parallèles qui ne se croiseraient jamais.

Ce, ou plutôt ceux, qui donnaient la force à Raleigh de ne pas faire attention à ce qu'on pouvait dire de lui, c'était ses amis. Eux l'appréciaient vraiment, ils le lui avaient prouvé maintes et maintes fois. Comme Lyndsey, ils s'agaçaient plus ou moins fortement quand quelqu'un se permettait de commenter ses agissements, ou même simplement quand on le regardait de travers. C'était des amis protecteurs et Raleigh le leur rendait bien, ou du moins il essayait d'être à la hauteur. Pour cela, il leur prêtait toujours une oreille des plus attentives, prodiguant les meilleurs conseils possibles et n'hésitant pas à intervenir. Certes il était gentil, cependant ça ne le rendait pas impuissant non plus. S'il fallait se battre ou ne serait-ce qu'insulter, il le ferait, quitte à se prendre la raclée de sa vie. Ses amis, c'était sa principale source d'optimisme. C'était grâce à leur présence que son monde ne perdait jamais de ses couleurs et qu'il s'émerveillait encore de petites choses auxquelles personne ne prêtait attention, le vol agile d'un papillon par exemple. Ils n'étaient pourtant guère nombreux à lui être proches mais cela lui suffisait. Les autres, ceux avec qui il s'entendait puisque après tout c'était une personne sociable, comptaient aussi mais beaucoup moins. Son cercle d'amis était bien plus restreint que celui de ses connaissances, c'était comme un privilège qu'il fallait savoir apprécier. Et cela, Sean, Ian et Darius s'en rendaient bien compte, d'autant plus que c'était par l'intermédiaire de Raleigh qu'ils étaient devenus amis. C'était par et pour lui à l'origine, et maintenant ils étaient tous les quatre aussi soudés que les phalanges d'une main, inséparables malgré les disputes qui pouvaient les secouer.

Valse no. 19  A minWhere stories live. Discover now