Rébecca

Reprendre.

Cette attente dure DEUX MOIS.J'y pense pas pendant ces deux mois.Ma mère,ainsi que celle de Mathilde,ont eu une façon très astucieuse de nous le faire oublier.Après une dernière épreuve où j'ai retrouvé des énoncés étrangement similaires à ceux de mon dernier concours blanc,où j'expérimentais un déjà vu des enfers,enfin plutôt paradisiaque vu le contexte faut pas déconner non plus,  pendant le cheminement logique de mon raisonnement,on s'est tous retrouvés dans un de ces parcs si grand qu'on ne sera pas nécessairement dérangés par les touristes,avec toujours ces même marques d'alcool d'une grand diversité que je faisais voyager d'une joue à l'autre avant de discrètement la laisser arroser l'herbe,sans penser à que tout ce que j'avais écrit,tout ce que j'avais rendu  à la fin de l'épreuve,ça allait venir dans la maison d'un correcteur agrégé en vacances;ET TOUTES les mauvais copies que ma mère allait corriger pendant ces deux mois,se plaignant des compétences de base en français et en mathématiques qui baissent et qui baissent,allaient m'évoquer ce correcteur qui voyait toutes les erreurs bêtes que j'aurais pu faire.Mon téléphone était éteint,déchargé au fond de mon sac et les deux amoureuses étaient bien loin de moi.J'avais passé cette épreuve,elle était derrière moi,c'était fait.Je pouvais rentrer sereinement chez moi,où les bras croisés,comme si elle eût été ma mère,émilie m'attendait,se plaignant de n'avoir reçu aucune réponse à mes appels,ayant tenté de joindre sur Messenger des gens de ma classe dont elle avait tout juste eu vent de l'existence.

Le lendemain,nous quittions Paris.J'ai l'impression d'être dans un roman réaliste du XIXème siècle en écrivant ça.Mais tout le monde rentre chez lui,du moins tout le monde qui a fini ses concours.

-Rébecca,m'annonce maman,dés que je suis rentrée seule et que j'arrive sur le quai si charmant,si blanc cassé et si paumé de cette gare de campagne près de Ste Félicité.J'ai loué une petite maison,c'est pas en France,on part demain.

-Y en a qui ont de la chance.

-Bah profite bien de la piscine des Loisel alors.

Ah oui parce que je vous l'avais pas dit,mais elles aussi vont aller se détendre,en profitant de la piscine du père de Mathilde.Cette même piscine que gamin il avait promis à Chen Tao pour la ravir à l'amour de Cédric.La vie est un kamoulox.Maman m'a quant à elle demandée de ne pas défaire ma valise,qu'elle allait s'en charger,qu'elle avait déjà fait la sienne,qu'Anna aussi,mais qu'elle faisait la sieste.Le genre de surprise que tu espère de ton petit ami.On prend l'avion.A Beauvais.Le matin même je passais la dernière épreuve,plus concentrée sur l'idée de bientôt en finir avec les concours que sur l'épreuve en elle-même,voyant désormais le mouvement de grosse horloge blanche avec ses grosses aiguilles et ses gros chiffres plus comme une libération que comme une contrainte.Dés son réveil,en chemise de nuit à fleur d'hôpital,la petite fille complètement décalée,descendait dans la cuisine où on mangeait quand on l'avait retrouvée.

-Oh Becky!ça a été ton concours?

J'ai jeté un oeil à la grosses pochettes à fleurs des années 70,semblant tout droit venir d'un épisode de totally spies,où je voyais un horrible coloriage correspondant à une suite de chiffres qui semblait juste mathématiquement malgré le peu de soin qui y a été apporté par cette chère Steffie Dublater.

-évite de faire ça devant moi steuplaît.

-Qu'est-ce qui se passe t'avais oublié tes crayons de couleur?se moque-t-elle.

Curieusement,je suis beaucoup moins stressée qu'après un concours blanc.Je verrais dans deux mois.Parce que je n'avais pas simplement peur de m'être plantée et d'avoir une petite école,et d'ainsi décevoir les profs et de faire ma 5/2 ailleurs.Je ne voulais pas d'école d'ingénieurs,je voulais ULM.Je m'imagine attendre les résultats devant mon ordinateur pendant une heure,un oeil ouvert dans mon lit roulée sur la couverture avec maman et Anna au travail à deux heures de paris,et j'ai pensé à Cédric qui avait vécu ça avant moi.Ses parents ne lui avaient jamais expliqué ce qu'était l'ENS,ce qui avait toujours fait tiquer émilie,qui elle est en filière littéraire et sait ce que ça veut dire,et tous ses potes lui avaient monté le bourrichon en parlant d'une évidence le concernant.Histoire de bien te mettre mal si tu te plantes.Et lui il n'avait pas d'ordinateur,il a dû faire comme le font les gens au bac:attendre qu'on affiche les résultats sur les grilles devant le lycée.J'espérais son hyper émotivité au moins égale à la mienne.Peu importe le résultat,l'enjeu était tellement grand que je me serais probablement évanouie.A la lumière bleue de mon téléphone et ruminant ce genre de pensée en me sentant encore plus en vie,en faisant des tests.Si je n'ai pas l'ENS cette année,au moins je serai la pizza tortue ninja.Vers deux heures du matin,je me suis dit qu'au moins je dormirai dans la voiture et dans l'avion.Enfin,j'ai un petit peu dormi dans mon lit quand même.

Le lendemain on a pris la voiture à l'aube.La surprise que représentait ce voyage me rappelait cette épopée hallucinée dans une Pologne où je n'avais toujours pas remis les pieds,préférant conserver le pays de mes ancêtres humains dans un écrin de nostalgie traumatique comme avait choisi de le faire Soshana.

-Ta grand-mère voulait y mourir,Becky.Ce pays représente pour elle la même chose que la planète de ton père.Tu ne rêve peut-être que d'y retourner mais elle était convaincue que ce pays sans juif n'était pas vraiment le sien tu comprends.J'ai dû prendre les devants pour l'organiser.Mais on ne va pas encore y retourner.Peut-être Anna avec le lycée.

-Oh oui j'ai vraiment envie d'y retourner.

C'est là qu'elle se retourna vers moi.

-Bon je pense que c'est plus la peine de te cacher ça plus longtemps,ma petite.On va en Roumanie.