XXXII ● Je ne peux plus vivre comme ça.

Depuis le début
                                    

Il se leva et se mit à arpenter la pièce de long en large. Marcher l'aidait à calmer ses nerfs à vif. Toujours assise sur le lit, Maman le suppliait de lui expliquer ce qui venait de se passer. Comment lui dire ? Elle ne le croirait que plus fou qu'il ne l'était déjà, s'il lui expliquait.

- Je ne peux pas, Maman, dit-il simplement sans s'arrêter de marcher. Tu ne comprendrais pas.

Simple et efficace. Un pied devant l'autre pour se vider la tête. Arrivé devant un mur, on fait demi-tour et on recommence.

- Louis, je t'en prie assied-toi. Je n'aime pas te voir dans cet état.

Il posa les yeux sur elle. Les siens larmoyaient, et elle les essuya prestement avant qu'une larme ne roule sur sa joue. Elle était au bord du gouffre, il lui faisait du mal, il le sentait. Alors il prit sur lui, pour la soulager, et se rassit sur le matelas. Sa jambe tressautait nerveusement. L'immobilité était son ennemie.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? Explique-moi, Louis, s'il te plaît. Je veux t'aider...

- Rien, siffla-t-il. Rien ne va. Je suis malade, Maman. Fou, fou à lier. Je ne peux plus vivre comme ça. C'est... C'est de plus en plus dur. Tu ne peux pas imaginer l'enfer que je vis tous les jours. Je... Je craque.

- Je ne comprends pas, mes médecins disaient de tu allais de mieux en mieux...

- Je me fous de ce que t'ont dit ces médecins ! cracha Louis avec une colère non dissimulée. Leur fais-tu plus confiance qu'à ton propre fils ? Ils ne peuvent pas savoir ce qui se trame à l'intérieur de ma tête. Je ne vais pas mieux, Maman. C'est de pire en pire.

Elle se mit à pleurer, et lui se remit debout. Il n'avait pas fait deux pas que les bras de Maman se refermaient déjà autour de lui. Il se retourna pour lui faire face. Ses yeux vairons exprimaient une telle douleur qu'il se mit à pleurer à son tour, sa haine lavée comme spontanément lavée par la tristesse de Maman. Serrés dans les bras l'un de l'autre, ils se laissaient aller à leurs larmes, reniflant bruyamment de temps à autre.

- Je n'en peux plus, sanglota Louis contre son épaule. Je ne peux plus vivre comme ça. Je ne peux plus...

Son cœur lui semblait être plein de débris de verre. Chaque pulsation le faisait atrocement souffrir, projetant du verre pilé dans toutes les veines de son corps.

Maman se détacha de lui pour aller fouiller dans son sac à main. Elle en sortit un cachet, qu'elle avala sans eau. Sûrement un anti-douleur, pour sa tête. Récemment, elle se plaignait souvent de migraines. Elle vint le reprendre dans ses bras. Ils ne s'étaient pas arrêtés de pleurer.

- Je suis désolée, Louis, articula-t-elle avec peine. Désolée de t'avoir mis au monde, désolée que tu aies à vivre tout cela, désolée que personne ne puisse te venir en aide. Je... Je ne te demande pas de me pardonner, tu as le droit de m'en vouloir. Après tout, c'est de ma faute si tu t'es retrouvé démuni, sans défense, dans ce monde si noir et si triste. Je te demande juste de me comprendre, de comprendre que j'ai tout fait pour te soulager depuis que ta vie a tourné au cauchemar. J'ai fait tout mon possible pour t'aider. Je t'aime, Lou. Tu resteras pour toujours mon petit garçon. Je t'aime plus que tout au monde, ne l'oublie jamais.

Elle l'embrassa sur la joue avec tendresse, tout en plongeant sa main dans la poche arrière de son pantalon. Louis fut surpris de ce soudain élan de tendresse, si bien qu'il s'arrêta immédiatement de pleurer. Maman, elle, ne semblait plus pouvoir calmer ses larmes. Leurs yeux se croisèrent brièvement avant qu'elle ne détourne la tête, mais Louis eut le temps d'y lire tout l'amour qu'elle lui portait, et toute la douleur qu'il lui infligeait. Son cœur lui sembla plus douloureux encore.

Maman rassembla ses affaires et ouvrit la porte de la chambre. Elle s'en alla, sans dire un mot de plus. Louis resta pantois, la bouche entrouverte, fixant des yeux la porte qui s'était refermée derrière elle. Il entendit des mots étouffés dans le couloir, de l'autre côté, et reconnut la voix de Maman et celle de Claire.

- Je pense qu'il vaudrait mieux le laisser tranquille pour le reste de la journée. La visite fut éprouvante. Il...

- Très bien, Muriel, nous le laisserons se reposer. Attendez, je vais vous raccompagner chez vous. Vous n'êtes pas en état de conduire.

Le verrou claqua, et les pleurs de Maman s'éloignèrent dans le couloir.

Il plongea sa main dans la poche de son jean pour en sortir l'objet qu'elle y avait plongé. La lame de rasoir brilla furtivement à la lumière du soleil qui tombait de la fenêtre de la chambre.

Il leva la tête pour regarder la porte de la pièce, fermée à clé. Puis ses yeux se portèrent sur celle de la salle de bains, entrouverte. Maman venait de lui dire au revoir. Il ne lui restait maintenant plus qu'une chose à faire.

Il alluma la lumière de la petite pièce, déterminé. Il s'assit au fond du bac de douche, le dos appuyé contre le carrelage froid. D'abord, il promena la lame contre sa joue et ferma les yeux, imaginant une dernière fois que Maman le rasait. Elle s'était bien occupée de lui, durant toutes ces années. Malgré ce que lui avaient répété les voix, elle avait été une bonne mère. Une très bonne mère.

La pièce de métal descendit le long de son cou. Sa main tremblait, incontrôlable. Une multitude de visages dansaient devant ses paupières closes. Alexandre, le docteur Asimov, Emelyn, Claire. Seraient-ils tristes ? Il ne pouvait pas le savoir, mais il pressentait que oui.

Pauvre merde.

Même après être parti, il continuerait de les faire souffrir. La pression de la lame contre sa carotide se fit plus insistante, et il sentit un chaud et bouillonnant liquide s'échapper sous ses doigts tremblants.

Une unique seconde passa. Soragh, dans un coin de la pièce, l'attendait, un large sourire fendant son visage de fumée. Louis se laissa envahir par la brume noire et s'abandonna aux ténèbres.

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