XI ○ Il n'était pas là.

272 32 15
                                    

Claire referma la porte du local de nettoyage avec un profond soupir. Elle venait de passer trois heures à récurer de fond en comble les couloirs de l'hôpital, faute de mieux à faire. Ses mains portaient désormais une désagréable odeur d'eau de javel et d'autres produits de nettoyage, mais elle avait au moins le sentiment d'avoir accompli quelque chose d'utile de sa journée – ce qui n'aurait pas forcément été le cas si elle avait passé sa matinée en salle commune avec les patients.

Il était maintenant treize heures. Tous les patients du service avaient mangé. Au menu du déjeuner, aile de poulet et petits pois. La partie du troisième étage dans laquelle elle se trouvait était presque entièrement silencieuse. Seules quelques paroles lui parvenaient de la salle commune, au bout du couloir, étouffées par l'épaisse porte de bois qui fermait la pièce.

Elle traversa le couloir d'un pas léger. Il était temps pour elle de déjeuner à son tour. Elle mourait de faim.

- ○ -

Après s'être lavée deux fois les mains pour essayer – en vain – de se débarrasser de l'odeur entêtante des produits ménagers, Claire avait mangé tranquillement avec l'un de ses collègues.

Émile était un petit blondinet d'une trentaine d'années. Il parlait avec un fort accent du sud et passait son temps à faire des blagues et à raconter n'importe quoi. Dans le service, tout le monde – patients comme infirmiers – appréciait sa compagnie, et pour cause. Lorsque Claire rangea la boîte en plastique qui contenait son repas dans son casier, elle avait mal au ventre : il était impossible de passer ne serait-ce qu'un quart d'heure avec Émile Pallières sans se retrouver à rire aux larmes.

– Il va falloir que je retourne bosser, soupira l'aide-soignante en essuyant les coins de ses yeux larmoyants.

En retour, son collègue lui fit un clin d'œil.

– Ravi d'avoir égayé votre journée, Miss Breton.

– Tout le plaisir était pour moi, Môssieur Pallières.

Exactement au même instant, ils s'inclinèrent tous les deux en une révérence exagérée – ce qui ne manqua pas de les faire repartir dans un fou rire incontrôlé.

Ce ne fut que dix bonnes minutes plus tard que Claire, enfin calmée mais dont les muscles abdominaux restaient douloureux, sortit de la salle du personnel. De l'autre côté des fenêtres du couloir, les cloches de l'église de la ville sonnèrent deux coups. Deux sons graves qui résonnèrent pendant de longues secondes dans tout l'hôpital.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent en grinçant. Les bruits que produisait la machine depuis quelques temps devenaient de plus en plus inquiétants, et Claire redoutait d'y rester bloquée un jour ou l'autre. Cette fois pourtant, elle monta jusqu'au quatrième étage sans incident majeur. Elle se jura cependant d'en toucher deux mots à Asimov la prochaine fois qu'elle le croiserait au détour d'un couloir.

Autant le silence du troisième étage était apaisant, autant celui qui régnait dans le couloir du quatrième était profondément oppressant. Il semblait physiquement peser sur les épaules de Claire. La lumière tombait du plafond, blanche et crue. Habituée à cette atmosphère particulière, Claire marchait d'un pas léger, tout en faisant tourner autour de son doigt son trousseau de clés. Un pressentiment étrange la prit néanmoins à la gorge alors qu'elle s'approchait de la chambre portant le numéro 514. Le lourd silence la dérangeait maintenant ; elle avait beau savoir qu'aucun bruit ne pouvait traverser ces épaisses portes, elle sentait que quelque chose ne tournait pas rond.

Elle colla son oreille contre le battant, mais évidemment aucun son ne lui parvint. Le cœur battant, elle posa sa main sur la poignée et s'appuya dessus. Aucune résistance ne s'opposa à elle et la porte s'ouvrit dans un silence de mort, sans un seul grincement. Claire avala difficilement sa salive. En temps normal, cette porte était censée être fermée à clé lorsque personne n'était avec Louis... À moins que le docteur Asimov ne fût descendu en salle commune avec lui après leur rendez-vous ? Impossible. C'était Claire qui était en charge de Louis, et le psychiatre avait très certainement autre chose à faire.

Mais dans ce cas, pourquoi la porte de sa chambre était-elle ouverte ? Et pourquoi tout était si silencieux ?

Elle poussa un petit peu plus le battant et risqua un œil à l'intérieur. Il n'y avait pas de Louis haineux qui l'attendait sur le lit, pas de Louis dont les yeux froids trahissaient une quelconque envie d'égorger l'infirmière. En entrant dans la pièce, Claire se rendit compte avec effroi qu'il n'y avait tout simplement aucun Louis dans la chambre. Il n'était pas là.

Son cœur battait fort dans sa poitrine. Où était-il ? Avec la folie qui pointait encore dans son regard le matin-même, Claire avait peur. S'il était en train de déambuler dans les couloirs de l'hôpital, qui sait ce qu'il était capable de faire ? Elle avait vu de ses propres yeux toute la colère qu'il emmagasinait en lui. Il était capable de tout.

Elle s'apprêtait à quitter la pièce pour aller le chercher partout dans le service quand un mot déposé sur le bureau de bois attira son attention. Elle s'en approcha et le saisit délicatement – ses jambes tremblaient, elle était terrifiée de savoir que le Louis qu'elle avait découvert quelques heures plus tôt pouvait potentiellement être en liberté quelque part dans l'hôpital.

Sur le petit bout de papier, elle reconnut l'écriture fine et condensée d'Asimov. Elle dut plisser les yeux pour réussir à déchiffrer les pattes de mouche du médecin.

Mademoiselle Breton, était-il écrit soigneusement. Louis Valienne s'est montré violent ce matin, lors de notre entrevue. J'ai été contraint de prévenir la sécurité. Il a été placé dans l'une des chambres d'isolement, tout au bout du couloir.
Je vous demande de passer le reste de votre journée au troisième étage avec les autres patients. Louis réintégrera sa chambre ce soir, ou demain matin si son état ne s'est pas amélioré.
Cordialement,
Dr. Asimov

- ○ -

Bonjour à touuuus

Comment que ça va ?
Je n'ai pas grand chose à vous demander aujourd'hui. L'histoire vous plaît toujours autant ? (:

À samedi prochain pour le chapitre suivant ! Portez-vous vous bien xx

AlogieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant