XXX ○ À aucun moment ça ne s'est arrêté.

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Sept heures et trente minutes. Il était précisément sept heures trente du matin, et Claire était déjà à l'hôpital, attablée dans la salle commune des patients. Le petit calendrier accroché dans un coin indiquait la date du lundi trente-et-un juillet.

"Au taquet dès le lundi matin, pensa-t-elle avec amusement. Quelle mouche t'a piquée, ma pauvre Claire ?"

En fait, elle n'avait simplement pas réussi à dormir. Ses retrouvailles avec Alexandre avaient tourné dans sa tête durant tout le week-end. Elle avait refusé de sortir avec ses amis, et ne trouvait que difficilement le sommeil. Un cauchemar, toujours le même, hantait ses courtes nuits. Alexandre, l'accident, la voiture en flammes.

L'hôpital semblait désert en cette heure matinale. Ce calme lui faisait du bien. La plupart des patients devaient encore dormir, et dans le cas contraire ils étaient tous encore dans leurs chambres.
Quoi qu'il en fût, elle était seule dans la grande pièce. Derrière les fenêtres, le soleil montait déjà au-dessus des arbres.

Devant elle était ouvert un livre traitant des délires paranoïaques, mais elle ne lisait pas. Elle regardait les rayons du soleil jouer dans les branches des arbres du parc. Ils dessinaient d'étranges motifs en ombre et lumière sur le linoleum gris.

Dans son dos, la porte qui donnait sur le couloir s'ouvrit en grinçant. Claire se retourna et sourit à Charlie Grimmeau. La jeune femme lui rendit son salut, se frottant les yeux d'un air fatigué.

- Bien dormi ? demanda Claire en tirant la chaise à côté d'elle.

Charlie s'y installa et bâilla longuement avant de répondre.

- Bof.

Elle passa une nouvelle fois sa main sur son visage dans l'espoir de se réveiller. Ses cheveux courts se dressaient dans tous les sens sur sa tête.

- Mon voisin du dessus, continua-t-elle. Ou ma voisine, je ne sais pas qui l'occupe, cette chambre. Toujours est-il qu'il ou elle n'a pas arrêté toute la nuit.

- Pas arrêté de quoi ?

Claire réfléchissait à l'identité de ce "voisin du dessus". Quelle chambre Charlie occupait-elle, déjà ?

- De marcher ! Des bruits de pas, toute la nuit, sans arrêt. Il a dû faire au moins quarante-cinq kilomètres, incroyable. À aucun moment ça ne s'est arrêté. Je n'ai pas pu fermer l'œil ne serait-ce qu'une minute. C'était...

- Hum, Charlie ? l'interrompit Claire avec un sourire contrit. Tu es dans quelle chambre, déjà ? Je ne m'en souviens plus.

Elle avait un étrange pressentiment. La patiente à ses côtés répondit sans réfléchir, tout en enfouissant sa tête entre ses bras.

- La dernière au bout du couloir, à gauche. Si tu n'y vois pas d'inconvénient, je vais finir ma nuit ici. Désolée de ne pas te tenir compagnie.

- Vas-y, dors. Tu en as besoin. Ne t'inquiète pas pour moi, j'ai de la lecture.

Claire lui frotta amicalement l'épaule, mais elle ne se remit pas à lire. Intérieurement, elle bouillonnait. La chambre au bout du couloir à gauche, au quatrième étage, portait le numéro 514.

- ○ -

Aux alentours de huit heures, il y avait suffisamment de personnel dans la salle pour qu'elle puisse s'éclipser. Sur la chaise à côté d'elle, Charlie dormait comme un bébé.

Elle passa par les cuisines et la pharmacie, récupéra petit-déjeuner et traitement matinal, puis monta en vitesse jusqu'au quatrième étage, préférant emprunter l'escalier de service qu'attendre l'ascenseur.
Une fois devant la porte de la chambre de Louis, elle inspira profondément. Elle redoutait l'état dans lequel elle allait le trouver. Pourquoi n'avait-il pas dormi de la nuit ? Qu'est-ce qui l'en avait empêché ?

Elle glissa en tremblant la clé dans la serrure, mais s'efforça de paraître sereine lorsqu'elle ouvrit la porte. Calme et sérénité étaient les maîtres mots, en psychiatrie.

Louis était debout au centre de la pièce, les mains dans les poches. Il regardait le sol. Ses lèvres bougeaient, mais Claire n'entendait pas sa voix. On aurait dit qu'il invoquait quelque sombre démon, récitait de douteuses incantations. Claire frissonna. Pas une fois il ne leva les yeux sur elle.

- Louis ? tenta-t-elle. Je t'ai apporté ton petit-déjeuner.

Il s'arrêta et tourna la tête. Ses yeux d'un bleu froid la toisèrent amèrement, mais il y brillait quelque chose d'autre. Un mélange de douleur et de tristesse. Son visage avait pris un air tourmenté, si tourmenté qu'elle en eut mal au cœur. Il n'avait rien dit, mais elle sut qu'il avait replongé. Lui qui avait l'air d'aller de mieux en mieux, la maladie semblait vouloir reprendre le dessus. Mais il se battait, cela se voyait. Claire lui sourit, espérant qu'Alexandre viendrait bientôt lui rendre visite, pour que tout rentre dans l'ordre.

Il s'approcha lentement, prit les deux cachets posés près du verre de jus d'orange et les avala tels quels.

- Vous pouvez y aller, lâcha-t-il. Je n'ai pas faim.

- Tu en es certain ?

Ses yeux appelaient à l'aide, mais d'un autre côté il cherchait également à la chasser. Claire ne comprenait plus. Peut-être ne fallait-il pas non plus chercher à comprendre ; une mauvaise passe, cela s'arrangerait. Muriel convaincrait Alexandre de venir, et tout s'arrangerait. Avec un peu de chance, elle n'aurait même pas à recroiser son ex-petit ami.

- J'ai... J'ai besoin d'être seul. S'il vous plaît.

Claire opina. Elle promena son regard autour d'elle, étonnée comme au premier jour de l'impersonnalité de cette chambre. Rien, pas une lampe, pas une feuille de papier, rien même pour habiller l'ampoule nue qui tombait du plafond.

- Ta mère m'a dit qu'elle passerait ce matin, lui dit-elle finalement avec un sourire.

Il ne la regardait déjà plus, et avait recommencé à faire les cent pas en marmonnant des choses incompréhensibles dans sa barbe.

- Mmh. D'accord. Merci.

Elle ne s'attarda pas plus longtemps, et se dépêcha de redescendre le plateau-repas intact aux cuisines.

AlogieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant