XXIII ● « Ma tête n'est qu'une immense pièce vide. »

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Lorsque Louis se réveilla ce matin-là, une intense douleur lui vrillait le crâne, son sang battait follement contre ses tempes. Son cœur cognait dans ses oreilles comme un tambour. Il se redressa dans son lit avec un gémissement. Ces maux de tête, il les connaissait bien. Ils étaient le signe que les voix le laisseraient tranquille pour quelques temps.
Cela faisait bien longtemps que ça n'était pas arrivé, il avait depuis longtemps arrêté de compter. Une relative bonne nouvelle donc, et pourtant elle ne le réjouissait pas ; à chaque fois que les voix lui laissaient ainsi une courte période de lucidité, ses pensées à lui prenaient le dessus. Des pensées noires et torturées, qui l'effrayaient encore plus pour la simple et bonne raison qu'elles ne venaient que de lui.
Les voix l'empêchaient de réfléchir. Mais quand il était seul, il réfléchissait trop. Beaucoup trop.

Il se frotta les yeux avec le dessus de son poignet dans l'espoir de réussir à les garder ouverts, puis regarda ses mains. À la droite, trois de ses doigts étaient maintenus par une petite attèle de plastique et un épais bandage blanc. La veille, il avait entendu les médecins dire à Maman qu'ils étaient cassés. Les autres avaient presque entièrement dégonflé, mais étaient toujours d'une couleur anormalement violette.

Il soupira. Il n'aimait pas ces trous noirs. Les crises de somnambulisme qu'il faisait, petit, l'avaient toujours terrifié. Agir tout en étant inconscient de ses propres actes. Pendant les trous noirs, il ne pouvait même pas tenir tête aux voix. Elles prenaient entièrement le contrôle de son corps, faisaient tout ce qu'elles voulaient de lui. Et ce sans qu'il ne s'en rende compte, sans qu'il ne puisse faire quoique ce soit pour les en empêcher.
Un frisson courut le long de sa colonne vertébrale alors qu'il étudiait de nouveau ses mains.
Il leva les yeux vers la tâche brune sur le mur, près de son lit. Du sang. Son sang. Celui qu'il avait très certainement perdu en raclant ses ongles cassés contre la paroi de plâtre, la veille.

Il se leva et se mit à arpenter la petite pièce de long en large. S'il n'aimait pas les jours « clairs », comme il s'amusait ironiquement à les appeler, les jours sans voix, c'était aussi à cause de cette écrasante sensation qui pesait sur sa poitrine de tout son poids, cette impression d'être un animal en cage. Il faisait les cent pas dans sa chambre, enfermé à clé comme un prisonnier dans sa cellule. Un prisonnier.

C'était ce qu'il était, finalement. Il était prisonnier. Prisonnier de cet hôpital. Prisonnier de sa maladie. Prisonnier de ses démons. Prisonnier de ses cauchemars. Prisonnier de lui-même.

Il entendit la clé tourner dans la serrure de la porte, qui s'ouvrit immédiatement sur son infirmière. Il s'arrêta de marcher pour la regarder. Elle tenait entre ses mains le plateau de son petit-déjeuner. À la vue de la nourriture, l'estomac vide de Louis se manifesta bruyamment.

Claire le regardait avec des yeux ronds d'étonnement. Il réfléchit. Ses derniers jours clairs devaient remonter à plusieurs mois. Si Claire avait déjà vécu plusieurs de ses trous noirs, elle ne l'avait vu aussi lucide qu'il l'était actuellement.
Il frissonna de nouveau, comme si la température extérieure avait brusquement chuté de plusieurs degrés. Claire ne l'avait jamais vu dans son état normal. Il apparaissait à ses yeux comme un malade, un fou. Le garçon timbré qui vivait avec des dizaines de voix dans sa tête, et qui était incapable de se laver sans l'aide de sa mère.

Il ravala amèrement les larmes de honte qui menaçaient soudainement de couler le long de ses joues, et s'efforça de paraître le plus normal possible.

Claire brisa le silence la première.

- Bonjour Louis.

Sa voix semblait teintée de méfiance. Elle avait peur de lui. Louis étouffa un nouveau sanglot et s'assit en tailleur sur son lit.

- Bonjour, répondit-il.

Il avait la bouche pâteuse et avait du mal à articuler. Sa langue semblait presque ankylosée. Depuis combien de temps n'avait-il pas prononcé un mot ? Il ne s'en souvenait pas.

Claire avait semblé reprendre son calme, mais ses yeux trahissaient toujours une sorte d'inquiétude qu'elle avait du mal à contenir. Elle posa son plateau à côté de lui, sur le matelas, et il se dépêcha d'avaler le croissant et le bol de chocolat chaud qui y étaient disposés.
La viennoiserie était sans conteste industrielle, sèche et sans goût. Rien à voir avec celles que Maman lui ramenaient de la boulangerie, quand il était encore à la maison. À la maison...
Porter le bol à ses lèvres était difficile. Ses doigts meurtris le faisaient souffrir, il avait beaucoup de mal à les garder serrer autour de la céramique bleue. Par deux fois, il faillit en renverser le contenu sur ses genoux. Mais la sensation du lait chaud dans son estomac était si agréable qu'il s'accrochait au petit récipient de faïence comme si sa vie en dépendait, ignorant la douleur qui s'étendait jusque dans ses épaules. Il avait l'impression de ne pas avoir mangé à sa faim depuis des jours.

Lorsqu'il eût tout avalé, il jaugea l'infirmière en face de lui pendant ce qui lui parut une éternité. Il avait peur de parler. Quelle idée avait-elle de lui ? Un assisté, un fou à lier ? Après tout, c'étaient ce que les voix le lui répétaient à longueur de journée, et ce n'était que la vérité. Des faits, prouvés et approuvés. Il était fou et interné.
Claire devait très certainement penser la même chose que lui. Que tous, tous les autres. Médecins, infirmiers... Même sa famille savait qu'il était fou. Il avala difficilement sa salive, essayant de prononcer un mot, n'importe lequel, mais il en était incapable. Sa voix restait bloquée par une boule d'angoisse dans le fond de sa gorge et semblait catégoriquement refuser de sortir. Il était un fou muet, et s'il se mettait à parler, il ne ferait sûrement qu'empirer les choses.

- Je peux voir tes mains ?

Le sortant brutalement de ses pensées, la voix de Claire résonna dans sa tête en innombrables échos, comme dans une immense pièce vide.

« Ma tête n'est qu'une immense pièce vide », se répéta-t-il en pinçant les lèvres.

Avec hésitation, il tendit ses mains devant lui, et elle les prit dans les siennes. Son contact était agréablement chaud et rassurant - un peu comme un bol de lait chocolaté.

- ○ -

Bouhouhou, je l'aime ce petit chapitre. Mon petit Louis <3 Vous rencontrez enfin son côté lucide hehe, qu'en pensez-vous ?

Sinon ! Mes vacances se passent à merveille uhu, c'est vachement cool la côte d'Azur. (Je vous raconte pas plus ma vie que ça, je le fais déjà bien assez sur twitter, j'vais pas trop polluer ici.)

Pour clôturer en beauté la petite note du jour, je vous donne un petit indice à propos de mon projet secret. Il s'intitule v. Je vous laisse à vos recherches et à votre imagination pour essayer de deviner de quoi il s'agit :p (Je suis sadique ups.)

On se retrouve samedi prochain lorsque je serai de retour à Paris, avec un nouveau chapitre d'Alogie et un nouveau petit indice ! xxx

AlogieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant